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CORRESPONDANCE

que Phidias rirait ! Il dirait peut-être encore : elle m’échigne mon Du Camp. Si j’étais à Paris, je crois qu’il le dirait de son Flaubert. Oui, j’aimerais à me rendre malade de toi, à m’en tuer, à m’en abrutir, à n’être plus qu’une espèce de sensitive que ton baiser seul ferait vivre. Pas de milieu ! La vie, et c’est là la vie : aimer, aimer, jouir ; ou bien quelque chose qui en a l’apparence et qui en est la négation, c’est-à-dire l’Idée, la contemplation de l’immuable, et pour tout dire par un mot, la Religion dans sa plus large extension.

Je trouve que tu en manques trop, mon amour. Je veux dire qu’il me semble que tu n’adores pas beaucoup le Génie, que tu ne tressailles pas jusque dans tes entrailles à la contemplation du Beau ; ce n’est pas tout que d’avoir des ailes, il faut qu’elles vous portent.

Un de ces jours, je t’écrirai une longue lettre littéraire. Aujourd’hui j’ai fini Sabountala. L’Inde m’éblouit : c’est superbe. Les études que j’ai faites cet hiver sur le brahmanisme n’ont pas été loin de me rendre fou ; il y avait des moments où je sentais que je n’avais pas bien ma tête. On m’a annoncé aujourd’hui que d’ici à quinze jours je recevrai de Smyrne des ceintures de soie : ça m’a fait plaisir. J’avoue cette faiblesse. Il y a ainsi pour moi un tas de niaiseries qui sont sérieuses. Adieu, je te baise sous la plante des pieds.