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CORRESPONDANCE

Accuse-moi, injurie-moi dans ton cœur tant qu’il te plaira. Dieu (s’il y a un Dieu) est dans ma conscience (si j’ai une conscience). Un avis, pendant que j’y pense, si tu veux à toute force venir me voir. Crois-tu que je ne rêve pas à cela souvent et que je ne m’en fais pas des tableaux charmants ? Ne viens jamais ici : il nous serait impossible, topographiquement parlant, de nous réunir. Je sais bien que l’idée de la réunion n’est pas ce qui te pousse ; mais enfin c’est toujours un hors-d’œuvre plus qu’accessoire et qui vient inévitablement engaillardir tout festin du cœur. Il vaudrait mieux que tu t’arrêtasses à Rouen. Tu arriverais un matin, m’ayant prévenu la veille. Je prétexterai quelque course et je serai ici de retour vers six heures. Je suis bien triste, pauvre chérie, quand le soir arrive. Ma pensée se reporte sur toi avec douceur ; cela me délasse comme une brise. Quel sombre dimanche j’ai passé hier ! Mon frère n’est pas venu ; il commence, je crois, à s’ennuyer de nous, ce qui n’a rien d’étonnant, et il nous laisse seuls. Il a raison. Ça ne guérit pas les pestiférés que de gagner la peste. Le foyer se dégarnit de ses hôtes, comme le cœur des siens. Ils s’en vont les uns à la file des autres. On ne peut pas croire que leur départ est éternel ; ils ne reviennent pas pourtant |

Comme tout se fait vide en peu de temps ! Que de places abandonnées par des êtres ou des choses qu’on ne reverra jamais !

Toi, tu as l’esprit gai ; ce sont les circonstances extérieures qui t’affligent. Tu ne sens pas ces nausées d’ennui qui vous font désirer la mort. Tu ne portes pas en toi l’embêtement de la vie, mot qu’il