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DE GUSTAVE FLAUBERT.

teau Gaillard qui en est à une lieue. Au lieu de cela, j’irai jusqu’à Mantes où je resterai jusqu’au convoi de six heures qui me ramènerait ici à huit. Tel est mon plan. Je le prépare déjà de longue main. Pourvu que mon beau-frère n’ait pas la malheureuse idée de nous accompagner ! Pourvu que ma mère elle-même n’ait pas cette idée ; car nous avons aux Andelys (lieu où est le château Gaillard) des amis intimes qu’elle n’a pas vus depuis longtemps, et elle voudra peut-être profiter de l’occasion. Tu partirais de Paris à 9 heures du matin ; tu serais à Mantes à 10 heures 50 minutes ; j’y arriverais à 11 heures 19. Nous aurions à nous cinq belles heures. C’est bien peu ; ce serait toujours quelque chose, car je ne prévois pas la possibilité prochaine d’un voyage à Paris. Quand nous nous redirons adieu, ce sera encore pour une absence plus longue. Il faudra nous y faire et accepter cela comme une infirmité de notre pauvre amour impossible à éviter.

Nous nous écrirons ; nous penserons l’un à l’autre ; tu travailleras (me le jures-tu ?) ; tu tâcheras de faire quelque grande œuvre où tu mettras tout ton cœur.

Oh ! va, aime plutôt l’Art que moi. Cette affection-là ne te manquera jamais ; ni la maladie ni la mort ne l’atteindront. Adore l’Idée ; elle seule est vraie parce qu’elle seule est éternelle. Nous nous aimons maintenant ; nous nous aimerons plus encore peut-être. Mais, qui sait ? un temps viendra où nous ne nous rappellerons peut-être pas nos visages. As-tu entendu quelquefois des vieillards te raconter l’histoire de leur jeunesse ?

J’en connais un qui m’a, il y a quelques mois,