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DE GUSTAVE FLAUBERT.

été un cri d’avertissement pour toi ; et lorsque l’entraînement nous a saisis ensemble dans son tourbillon, je n’ai cessé de te dire de te sauver, quand il en était temps encore. Était-ce de la vanité cela ? Était-ce de l’orgueil ? N’aurais-je pas pu au contraire mentir, me grandir, me dresser, me faire sublime ? Tu m’aurais cru tel !

C’est alors que tu aurais cru que j’étais bon, parce que j’aurais été hypocrite.

Mais que te dire ? que faire ? Je m’y perds. Il me faut du courage pour l’écrire, persuadé chaque fois que tout ce que je t’écris te blesse. Les caresses que les chats donnent à leur femelle les ensanglantent et ils s’échangent des coups au milieu de leurs plaisirs. Pourquoi y reviennent-ils ? La nature les y pousse. Je suis donc de même : chaque parole de moi est une blessure que je te fais ; chaque élan de tendresse est pris comme un outrage. Ah ma pauvre femme chérie ! je ne m’attendais pas à tout cela, même dans la prévision la plus éloignée des infortunes possibles.

As-tu pu penser que si tu avais un enfant de moi je t’en aimerais moins ? Mais je t’en aimerais plus au contraire, mille fois plus. Ne me serais-tu pas plus attachée par la douleur, par la reconnaissance et par la pitié même ? Ce dernier mot-là te choque encore peut-être. Mais ne le prends pas à son sens banal et étroit. Prends-le par ce qu’il porte en lui de plus intime, de plus ému, et de plus désintéressé ! Tu penses qu’à cause de cette appréhension continuelle d’une rupture qui peut résulter d’une minute d’égarement il n’y aura plus entre nous ni entraînement ni ivresse ? Au contraire : c’est cet entraînement pour moi qui trouble