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CORRESPONDANCE

été longue ! Et pour moi donc ! Et puis il a tant plu ! J’ai eu le cœur serré jusqu’à la nuit. Il y a quarante-huit heures, quelle différence, ma pauvre bien-aimée ! Ma tristesse pourtant n’a rien d’amer ; tu m’as mis tant de joie dans le cœur qu’il m’en reste quelque chose, même quand je ne t’ai plus ; ton souvenir est radieux, doux, attendrissant. Je revois l’expression heureuse de ton beau visage quand je te regardais de près. Sais-tu que je vais finir par ne plus pouvoir vivre sans toi ; la tête parfois m’en tourne, ton image m’attire, me donne le vertige. Que devenir ? N’importe, aimons-nous, aimons-nous. C’est si doux, si bon !

Tiens, je n’ai pas un seul mot à te dire, tant je suis plein de toi, si ce n’est l’éternel mot : je t’aime.

J’ai été touché du présent de ta médaille. Mon premier mouvement a été de la refuser ; il me semblait que c’était trop te prendre, que je ne méritais pas cela. Puis, comme j’ai compris le besoin que tu avais de me donner quelque chose qui te fût cher, et que je sentais toute la peine que je te ferais, j’ai accepté. J’en suis content maintenant. Je la regarde avec orgueil comme si tu étais ma fille. Ce n’est pas pourtant à cause de ton esprit que je t’aime ; c’est à cause de je ne sais quoi, à cause de tes yeux, à cause de ta voix, à cause de tout, à cause de toi.

As-tu pensé à ceux qui viendront maintenant dormir dans notre lit ? Qu’ils se douteront peu [de] ce qu’il a vu ! Ce serait une belle chose à écrire que l’histoire d’un lit ! Il y a ainsi dans chaque objet banal de merveilleuses histoires. Chaque pavé de la rue a peut-être son sublime.