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CORRESPONDANCE

D’abord mon père a été pris, à peine parti de Rouen, d’un mal d’yeux opiniâtre qui le forçait, dans les villes, à garder sa chambre et à mettre des sangsues de temps à autre ; il n’en a été débarrassé qu’à Milan. Puis Caroline, qui avait bien supporté la voiture jusqu’à Toulon […] a été reprise de douleurs dans les reins, de fatigue, si bien que ma mère se mourait d’inquiétude sur les suites de son voyage en Italie ; ce que voyant, Hamard y a renoncé, et nous sommes tous revenus ensemble par Milan, Côme, le Simplon, Genève et Besançon. J’ai eu dans notre voyage encore deux crises nerveuses ! Si je guéris, je ne guéris guère vite, ce qui est aussi peu neuf pour moi que peu consolant. Après tout, merde ! Voilà, avec ce grand mot on se console de toutes les misères humaines ; aussi je me plais à le répéter : merde, merde ! Enfin tu conçois que tout cela, joint de la part de mon père au regret de ses occupations favorites, à l’absence d’Achille qui se plaignait dans ses lettres d’être las de la clientèle, ont rendu ces deux mois pas aussi agréables qu’ils auraient dû l’être.

Du reste, si tu veux que je te parle de ce que j’ai vu, je te dirai que la Corniche est une route de 60 lieues, à faire à pied, et que j’ai été triste à crever pendant trois jours quand j’ai quitté Gênes ; car c’est une ville tout en marbre, avec des jardins remplis de roses ; l’ensemble en est d’un chic qui vous prend l’âme. En revanche, Turin est ce que je connais de plus ennuyeux au monde ; j’en excepte Bordeaux et Yvetot. Mais Milan, sa cathédrale surtout, est quelque chose de propre. Pour moi, c’est Gênes, Gênes avant tout ce que j’ai vu.