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DE GUSTAVE FLAUBERT.

pas bien lesquelles) ; j’aurais peut-être plus réfléchi et moins regardé. Au contraire j’ouvre les yeux, sur tout, naïvement et simplement, ce qui est peut-être supérieur.

J’ai assisté à deux enterrements dont je te donnerai tous les détails.

À Nice je n’ai pas été au cimetière où pourrit ce pauvre des Hogues, comme j’en avais eu l’intention. Cela eût paru drôle.

Quelqu’envie donc que j’en aie eue je n’y ai pas été ; mais j’ai bien pensé à lui. J’ai regardé la mer, le ciel, les montagnes ; je l’ai regretté, aspiré. S’il reste dans l’air quelque chose de ceux qui sont morts, je me suis mêlé à lui, et son âme en a peut-être été réjouie. Je n’ai pas revu à Marseille cette bonne Mme Foucaud, mais j’ai revu sa maison, la porte et les marches pour y monter ; elles ne sont pas plus usées ; malgré tous les pas qui y sont venus, elles ont moins vieilli que moi depuis cinq ans. La nature est si calme et si éternellement jeune qu’elle m’étonne continuellement. À Toulon j’avais aussi, devant mon hôtel, les mêmes arbres et la même fontaine qui coulait de même et faisait, la nuit, son même bruit d’eau tranquille. En allant de Fréjus à Antibes, nous avons passé par l’Estérel et j’ai vu sur la droite l’immortelle auberge des Adrets ; je l’ai regardée avec religion, en songeant que c’était là d’où le grand Robert Macaire avait pris son vol vers l’avenir et qu’était sorti le plus grand symbole de l’époque, comme le mot de notre âge. On ne fait pas de ces types-là tous les jours ; depuis Don Juan je n’en vois pas d’aussi large. À propos de Don Juan, c’est ici qu’il faut venir y rêver ; on aime à se le figurer quand on se