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DE GUSTAVE FLAUBERT.

failli aller voir Pluton, Rhadamante et Minos. Je suis encore au lit, avec un séton dans le cou, ce qui est un hausse-col moins pliant encore que celui d’un officier de la garde nationale, avec force pilules, tisanes, et surtout avec ce spectre, mille fois pire que toutes les maladies du monde, qu’on appelle régime. Sache donc, cher ami, que j’ai eu une congestion au cerveau[1], qui est à dire comme une attaque d’apoplexie en miniature, avec accompagnement de maux de nerfs que je garde encore parce que c’est bon genre. J’ai manqué péter dans les mains de ma famille (où j’étais venu passer deux ou trois jours pour me remettre des scènes horribles dont j’avais été témoin chez H***). On m’a fait trois saignées en même temps et enfin j’ai rouvert l’œil. Mon père veut me garder ici longtemps et me soigner avec attention, quoique le moral soit bon, parce que je ne sais pas ce que c’est que d’être troublé. Je suis dans un foutu état ; à la moindre sensation, tous mes nerfs tressaillent comme des cordes à violon, mes genoux, mes épaules et mon ventre tremblent comme la feuille. Enfin, c’est là la vie, sic est vita, such is life. Il est probable que je ne suis pas près de retourner à Paris, si ce n’est peut-être deux ou trois jours vers le mois d’avril, pour donner congé à mon propriétaire et régler quelques petites affaires. On me fera prendre de bonne heure cette année l’air de la mer, on me fera faire beaucoup d’exercice et surtout beaucoup de calme. Je dois joliment t’embêter, n’est-ce pas, avec le récit de

  1. Première crise d’épilepsie, dont Flaubert eut à souffrir pendant quelques années.