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nable d’envoyer des doléances à un homme qui se porte bien, ou des plaisanteries, gaillardises et facéties à un pauvre bougre qui ne prend que des lavements et des bouillons, qui ribote avec de la tisane et bamboche avec le clysoir. La dernière fois que j’ai reçu une lettre de toi, la fin était de ta mère : ta faible main n’avait pu aller plus loin. Oh jeune homme ! que tu as besoin de lait d’ânesse !

Et moi, je suis un fameux mulet, mulet à grelots, mulet à housse et à pompons, mulet à longues oreilles, mulet ferré et portant un poids qui ne me rend pas si fier que si c’était l’argent de la gabelle.

C’est l’École de Droit que j’ai sur les épaules. Tu trouveras peut-être la métaphore ambitieuse ; il est vrai que si je la portais sur mes épaules, je me roulerais bien vite par terre pour briser mon fardeau.

J’ai revu Paris puisque j’y suis arrivé d’hier matin. Ô ! la belle ville et la jolie chose que d’y être étudiant ! Comme on s’amuse tout seul dans sa chambre avec Ducaurroy, Lagrange et Boileux, et les ombres de Delvincourt, Boitard[1], etc.

De l’autre côté de l’eau, il y a une jeunesse à trente mille francs par an qui va en voiture, dans sa voiture. L’étudiant va à pied ou en mylord, où l’on se mouille tout le corps, si ce n’est les pieds, quand il fait de la neige comme aujourd’hui. La jeunesse de là-bas va tous les soirs à l’Opéra, aux Italiens, elle va en soirée, elle sourit à de jolies femmes, qui nous feraient mettre à la porte par leurs portiers si nous nous avisions

  1. Auteurs d’ouvrages juridiques.