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plus disposé que jamais à continuer tous mes rôles, car l’absence de mon public m’ennuie. Voici quelle est ma vie. Je me lève à 8 heures, je vais au cours, je rentre et je déjeune d’une manière très frugale ; je travaille jusqu’à 5 heures du soir, heure à laquelle je vais dîner ; avant 6 heures je suis de retour dans ma chambre, où je m’y divertis jusqu’à minuit ou une heure du matin. À peine si une fois par semaine je descends de l’autre côté de l’eau pour aller voir nos amis.

J’ai trouvé tantôt la carte d’Henry Collier, capitaine de vaisseau de Sa Majesté Britannique, qui probablement s’ennuyait de ne pas me voir et était venu avec Herbert me faire une visite. J’irai chez eux vendredi. Henriette est toujours couchée dans son lit ou sur un canapé ; on lui apporte ses repas, elle ne se lève point.

Le gros Vasse[1], qui n’est plus du tout gros, m’a invité à dîner pour jeudi. Je n’aurai qu’à traverser le Luxembourg, à tâcher de m’empiffrer, à sortir ensuite, allumer un cigare, et me retasser dans mon chenil.

J’ai fait marché avec un gargotier du quartier pour qu’il me nourrisse. J’ai devant moi, et payés, trente dîners, si on peut appeler cela des dîners. Maman sera peut-être émerveillée de mon idée économique : elle n’est point gastronomique, mais commode et à bon marché. Je surpasse tous les amateurs du lieu en rapidité pour manger. J’y affecte un genre préoccupé, sombre et dégagé tout à la fois, qui me fait beaucoup rire quand je

  1. La mère d’Emmanuel Vasse était l’amie d’enfance de Mme Flaubert ; son père fut consul en Orient.