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ciles qui font que la terre n’est pas si ennuyeuse, quoiqu’elle le soit piéça.

Songe à la soupe, au bouilli, aux pâtés de foies gras, au chambertin. Comment se plaindre de la vie quand il existe encore un bordel où se consoler de l’amour, et une bouteille de vin pour perdre la raison ? Remonte-toi le moral, nom de Dieu ! suis un régime sévère, fais des farces la nuit, casse les réverbères, dispute-toi avec les cochers de fiacre […], fume raide va dans les cafés, fous le camp sans payer, donne des renfoncements dans les chapeaux, rote au nez des gens, dissipe la mélancolie et remercie la Providence. Car le siècle où tu es né est un siècle heureux : les chemins de fer sillonnent la campagne ; il y a des nuages de bitume et des pluies de charbon de terre, des trottoirs d’asphalte et des pavages en bois, des pénitenciers pour les jeunes détenus et des caisses d’épargne pour les domestiques économes qui viennent y déposer incontinent tout ce qu’ils ont volé à leurs maîtres. M. Hébert[1] fait des réquisitoires et les évêques des mandements ; les putains vont à la messe ; les filles entretenues parlent au moins de morale et le gouvernement défend la religion ! Ce malheureux Théophile Gautier est accusé d’immoralité par M. Faure ; on met en prison les écrivains et on paye les pamphlétaires. Mais ce qu’il y a de plus grotesque, c’est la magistrature qui protège les bonnes mœurs et [punit ?] les attentats aux idées orthodoxes. La justice humaine est d’ailleurs pour moi ce qu’il y a de plus bouffon au monde ; un homme en jugeant un autre est un

  1. Procureur général, devint ministre de la Justice en 1847.