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ses yeux les grands palais en ruines ; dans ses songes il entendait les cloches des chameaux. En quoi donc consiste précisément le charme que l’Orient exhale pour lui et dont il va s’ensorceler pendant son voyage avec Maxime Du Camp ? Ce n’est pas seulement la splendeur de la contrée, les effets admirables et étranges de lumière et de couleur, bien que tout cela aussi fasse vibrer son âme de coloriste. La beauté de Salammbô ne repose-t-elle pas en grande partie sur l’élément descriptif ? Mais plus encore que ce côté purement extérieur, c’est une impression profonde d’un lyrisme étrangement triste, un sentiment de douleur amère que fait naître en lui le caractère de l’Orient. « Ce que j’aime au contraire dans l’Orient c’est cette grandeur qui s’ignore et cette harmonie des choses disparates ». Et par-là il entend les yeux admirablement profonds des femmes qui sont pour lui en même temps tranquilles et vides comme le désert, les magnifiques têtes des hommes qui ne renferment pas la moindre pensée, et les broderies d’or rongées de vermine. En un mot, ce sont les contrastes très-forts, ce mélange d’éléments extrêmement différents qui se rencontrent, se lient, et finalement produisent un genre de grotesque tout particulier, saisissant et amer, dont il aimait à endolorir son âme. Mais notons-le bien, ce n’est pas seulement dans l’apparition extérieure de la vie orientale que se présente cet élément, mais aussi et peut-être plus encore dans sa culture intellectuelle et surtout religieuse telle que nous l’avons dans la Tentation.

Le fait que Flaubert ne décrit pas l’Orient de son époque, mais celui du quatrième siècle après