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Haïtien des plus intelligents. Encore que cette poésie ne soit pas très brillante par la facture et donnerait une idée fort insuffisante du talent de M. Guilbaud, dont le faire est vraiment merveilleux dans toutes les pièces ou il veut se montrer artiste, le fond me plaît infiniment. Ce sont les paroles prononcées par Toussaint-Louverture, en 1802, à l’aspect de la flotte française, transportant en Haïti l’expédition Leclerc. Sa qualité supérieure consiste dans la précision et la couleur historique qu’y a répandues le jeune poète. Aucun historien ne présenterait autrement cette grande figure de Toussaint-Louverture, dominant l’Océan, dévorant dans son cœur les angoisses du patriotisme. C’est un tableau saisissant qu’un de nos peintres d’avenir aura un jour à fixer en traits superbes sur sa toile d’artiste.


TOUSSAINT-LOUVERTURE
À l’aspect de la flotte française (1802).

à mon ami J.-J. Chancy.

« Pleurer lorsque tout rit, pleurer lorsque tout chante ;
Comprimer dans son cœur les grands, les fiers élans,
Sentir toujours du fouet la morsure à ses flancs,
Sous la main du bourreau si froidement méchante !

« Pleurer en étouffant jusqu’au moindre sanglot,
— Car du maître la joie en fut empoisonnée, —
De l’esclave africain telle est la destinée
Et, je m’en souviens bien, tel fut aussi mon lot !

« Alors que tout redit la chanson de la vie,
Lui, chante à demi-voix le refrain de la mort ;
Être dégradé, rien, ni vertu ni remord,
N’élève plus la voix dans son âme asservie.

« Qu’est-ce pour lui mourir, lui qui meurt tant de fois
En un jour ?… Dans sa femme aux durs labeurs rivée,
Dont le sein fécondé, sous la rude corvée
Voit tomber son doux fruit non mûri par les mois ;