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pas moins un talent véritable, fait de tristesse et de facilité[1]. »

Je ne sais jusqu’à quel point on peut rencontrer de l’originalité dans les productions variées de M. Quesnel ; mais il est certainement un original. Aussi, sans faire de son suffrage plus de cas qu’il ne faut, je remarque simplement l’hommage qu’il a été forcé de rendre au talent du poète haïtien. Au surplus, cette saveur d’originalité qu’aurait pu désirer le lecteur français n’est nullement absente du recueil de poésie publié par M. Edouard. Sans le céder en rien pour la facture savante et harmonieuse du vers français qu’il sait tourner merveilleusement, le poète ne se laisse jamais prendre en flagrante imitation d’un maître quelconque de l’art, pas plus Théodore de Banville que Coppée ou Victor Hugo. Ses petites poésies fugitives, où la muse insouciante et légère joue à la désillusion et à l’ennui précoce de la vie, tout en ayant un vague reflet de Musset ou de Byron, sont plutôt faites à la manière spirituelle et délicate des odes d’Horace. Courtes, gentiment ciselées, d’une accortise parfaite dans leur allure, elles font bien l’effet de ces petites compositions poétiques, au mètre varié, que burinait de son fin stylet l’amant de l’inconstante Néère ou de la pétulante Lydie.

Le poète se plaint de l’infidélité de ses maîtresses et dépeint son désespoir avec des accents qu’on dirait sortis d’un cœur à jamais brisé. Tout cela se colore en teinte sombre et prend tous les dehors d’une profonde tristesse. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Ce n’est pas cette tristesse accablante et maladive que l’on trouve dans les poésies de Gilbert, ou même de Millevoye et d’Hégésippe Moreau. Il chante ses douleurs pour se distraire ; sa souffrance parfois vibrante et sincère est le plus souvent un jeu d’artiste.

  1. Revue politique et littéraire, n° 3, 21 janvier 1882, p. 86.