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— Bien oui, chérie, je ne puis faire taire mes craintes. Autant je croyais à ton bonheur le jour où j’accordai ta main à Charlie, autant je me sens inquiète, pour ne pas dire coupable, en prêtant la main à ces négociations. Car, en somme, on n’a jugé que la question argent. Personne ne s’est même inquiété de savoir si tu n’étais ni bossue, ni boiteuse.

— Voyons, maman ! Est-ce que ses parents ne savaient pas que Guy n’irait pas s’amouracher d’une infirme.

— Qu’en sais-tu ? Enfin, laissons ces discussions qui ne servent de rien puisque ta décision est prise. Mais explique-moi donc maintenant comment tu en es arrivée à une rupture avec Charlie ?

— Maman, tu n’as pas deviné qu’à son retour, je ne l’aimais déjà plus ?

— J’avais bien cru le soupçonner. Mais enfin, comment expliques-tu ta conduite à son égard ? Jusqu’à la dernière minute tu lui laisses croire que tu vas l’épouser, et en le voyant tu ne peux plus le tolérer près de toi. Tu lui refuses le moindre témoignage d’affection, et chaque fois qu’il veut te voir, tu cries dans ton délire (ce n’est le plus souvent que le reflet des pensées fixes) : « Va t’en ! Va t’en ! » Pourquoi ne pas m’avoir prévenue tout de suite, je n’aurais laissé aucune espérance à ce pauvre garçon qui faisait réellement pitié le jour où il est venu me faire ses adieux, en m’annonçant : « Je serai longtemps, bien longtemps à ce voyage. Peut-être ne reviendrai-je jamais à Québec ? Si Pierrette me demandait, prévenez-moi tout de suite. »

— C’était incohérent. Je comprenais ce qu’il n’osait dire, ce qu’il redoutait sans vouloir y croire définitivement : que sa Pierrette, cette Pierrette, amie de son enfance, volontairement devenue sa fiancée, ne l’aimait plus, en aimait un autre.

— Puis tu lui as écrit quelques lettres : tu as accepté son cadeau du Jour de l’An, enfin tout à coup, paf ! tout est rompu, sans même m’en avoir dit un mot.