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dans ces conditions. Il s’adressa sa femme et lui demanda de faire ce raccommodage impératif.

— J’ai pas d’aiguille. Vas en chercher ane au village.

Pour tout avoir Baptiste n’avait qu’un billet de cinq piastres qu’il conservait précieusement pour ses dépenses de voyage.

— Donne-moé des coppes.

— J’en ai pas, mais prends un œuf et tu le changeras pour ane aiguille.

Baptiste prit un œuf dans l’armoire et se rendit au village, droit au magasin général, chez Joe Ladébauche.

— Dis donc, Joe, le fond de ma culotte est percé à jour, et ma femme a pas d’aiguille pour le raccommoder, veux-tu m’en changer ane pour un œuf ?

— Mais oui, mais oui, mon vieux Baptiste. Avec plaisir.

Joe prit l’œuf et le déposa sur une tablette.

Baptiste s’était accoudé sur le comptoir et semblait ruminer quelque chose. Tout à coup :

— Dis-donc, Joe, quand tu fais du commarce, des bargains, t’as pas l’habitude de payer la traite ?

— Eh oui. Quoi-ce que tu vas prendre ?

— Donne-moé un verre de brandy et un œuf.

Joe Ladébauche, qui trouvait ça drôle, s’empressa d’acquiescer à sa demande.

— Tiens, dit-il, voici le verre de brandy, et je te casse ton œuf dedans. Ça fait une « gobbe » de première classe.

Dans l’intervalle, Baptiste avait planté son aiguille dans le revers de son capot.