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exercices du trapèze au-dessous de la montgolfière, qu’il s’était proposé et fait accepter, malgré les observations contraires, fondées sur sa complète inexpérience de l’aérostation.

Cependant, la montgolfière montait toujours, et comme nous l’avons dit, on remarqua, à une certaine hauteur, que le gymnasiarque ne faisait plus aucun mouvement, ni des jambes ni des bras.

La montgolfière traversa la Seine. Elle était à 600 mètres de hauteur au moins, et celui qui la montait ne paraissait pas plus grand que la main.

Tout à coup, la foule poussa un cri d’horreur ; les femmes se cachaient la figure avec leurs mouchoirs. Le malheureux lâchait prise, et tombait, de cette hauteur effroyable, en tournoyant sur lui-même. On eut le temps de le suivre du regard, pendant cette longue chute.

Navarre alla se broyer dans une propriété particulière, située au no 84 de l’avenue du Roule. Son corps fit dans la terre un trou de 60 centimètres de profondeur ; puis il rebondit, à quatre mètres de là, affreusement disloqué.

Le choc avait été si violent que le corps, défonçant la terre, s’y était moulé à une profondeur de 30 centimètres. Les empreintes de la tête, du buste, des jambes, des bras et même des doigts, étaient gravées par de profonds sillons dans le sol, très dur en cet endroit. Les os étaient broyés, le crâne était brisé, et le sang s’échappait par les oreilles. Le corps étant tombé d’environ six cents mètres, la chute avait duré sept secondes ; à la septième seconde, il avait acquis une vitesse de plus de deux cent quarante mètres, et la vitesse étant multipliée par le poids du corps — estimé à soixante-cinq kilogrammes, — la masse devait dépasser quinze mille kilogrammes (quinze tonnes) quand elle toucha la terre.

Pendant ce temps, brusquement allégée du poids de celui qui venait de lâcher prise, la montgolfière faisait un saut brusque, et s’élançait dans les airs, au-dessus de Neuilly. Mais bientôt le vent la poussait vers Paris.

À la chute du jour, on aperçut, de l’intérieur de Paris, un ballon, dont la marche était irrégulière, et qui descendait par-dessus la place Saint-Michel. C’était la montgolfière partie de Courbevoie, à quatre heures trois quarts.

Au-dessus de la place Saint-Michel, elle n’était plus qu’à une hauteur de 168 mètres environ, lorsque tout à coup elle s’enflamma, en produisant un nuage de fumée : elle s’était crevée ou déchirée, et retombait sur la place. En voyant descendre le ballon déformé, vide, en lambeaux, une immense clameur s’éleva, et tout le monde se précipita, par toutes les rues, vers la place Saint-Michel.

Pour prévenir les accidents, plusieurs personnes, notamment les garçons du café de l’Avenir, avaient eu l’heureuse idée de laisser la place libre au moment de sa chute. Grâce à cette précaution, personne ne fut atteint. Seulement, une marchande de journaux faillit être ensevelie, avec son kiosque, sous les 500 mètres de toile de l’aérostat. Il ne fallut pas moins de quarante personnes pour porter l’étoffe de la montgolfière dans le couloir d’une maison voisine : elle pesait trois cents kilogrammes.

Telle est la dramatique histoire du pauvre Navarre.


Ce n’est pas la première fois qu’arrivent des accidents semblables à celui du malheureux Navarre, victime de l’accident de Neuilly.

En 1879, en Angleterre, à Falborougb, un gymnasiarque tomba des nues, dans des circonstances identiques. Il s’abattit sur le toit d’une maison, qu’il défonça. Le pauvre diable était un ancien écuyer du cirque Astley, nommé Frédéric Hill.