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dépêches. Ma pellicule, outre son extrême légèreté, présentait l’avantage de ne poser en moyenne que deux secondes, tandis que le papier nécessitait plus de deux heures, vu la mauvaise saison ; de plus, sa transparence donnait un excellent résultat à l’agrandissement qui se faisait à Paris, au moyen de la lumière électrique.

« Aidé par mes collaborateurs, j’organisai immédiatement le travail de la reproduction des dépêches officielles et privées, qui devait être si utile à la défense nationale et aux familles. À partir de ce moment, je fus seul à les exécuter, sous le contrôle de M. de Lafollye, inspecteur des télégraphes, chargé par la délégation du service des dépêches par pigeons voyageurs. Le travail originaire fut ensuite modifié, et le résultat, eu égard au peu de matériel que nous avions pu sauver, fut une production plus rapide et plus économique.

« Les journaux ayant fait connaître que les Prussiens s’étaient emparés d’une grande partie de mon matériel, je me fais plaisir de dire ici que M. Delezenne, et M. Dreux, agent de change, à Bordeaux, tous deux amateurs distingués de photographie, offrirent avec empressement à l’administration des appareils semblables à ceux que je possédais, et ils furent mis à ma disposition.

« Le stock des dépêches fut promptement écoulé. Je suis heureux de pouvoir affirmer qu’activement secondé par mes collaborateurs, aucun retard ne s’est produit dans mon travail ; mais le déplacement de la délégation et aussi le froid intense qui paralysait les pigeons ont créé de sérieuses difficultés.

« Lorsque rien n’entravait le vol de ces intéressants messagers, la rapidité de la correspondance était vraiment merveilleuse. Je puis pour ma part en citer un exemple.

« Manquant de produits chimiques, notamment de coton azotique, que je ne pouvais me procurer à Bordeaux, je les demandai par dépêche-pigeon, le 18 janvier, à MM. Poullenc et Wittmann, à Paris, en les priant de me les expédier par le premier ballon partant. Le 24 janvier, les produits étaient rendus à mes ateliers à Bordeaux. Le pigeon n’avait mis que douze heures pour franchir l’espace de Poitiers à Paris. La télégraphie ordinaire et le chemin de fer n’eussent pas fait mieux.

« Les dépêches officielles ont été exécutées avec une rapidité surprenante. M. de Lafollye nous les remettait lui-même à midi, et le même jour à cinq heures du soir, malgré une saison d’hiver exceptionnellement mauvaise, dix exemplaires étaient terminés et remis à l’administration. Nous en avons fait ainsi treize séries sans être une seule fois en retard. Les dépêches privées étaient exécutées dans les mêmes conditions. Le jour de l’armistice, nous n’avions plus une seule dépêche à faire ; elles avaient été toutes reproduites au fur et à mesure de leur remise. Le travail était considérable, car, à l’exception d’un petit nombre de pellicules qui n’ont été envoyées que six fois, parce qu’elles sont promptement arrivées, la plupart l’ont été en moyenne vingt fois, et quelques-unes trente-cinq et trente-huit fois. Nous avons aussi reproduit en photomicroscopie une grande quantité de mandats de poste. Les destinataires ont pu toucher leur argent à Paris comme en temps ordinaire.

« Chaque pellicule était la reproduction de douze ou seize pages in-folio d’imprimerie, contenant en moyenne, suivant le type employé, trois mille dépêches. La légèreté de ces pellicules a permis d’en mettre sur un seul pigeon jusqu’à dix-huit exemplaires, donnant un total de plus de cinquante mille dépêches pesant ensemble moins d’un demi-gramme. Toute la série des dépêches officielles et privées que nous avons faites pendant l’investissement de Paris, au nombre d’environ cent quinze mille, pesaient en tout un gramme. Un seul pigeon eût pu aisément les porter. Si on veut maintenant multiplier le nombre des dépêches par le nombre d’exemplaires fournis, on trouve un résultat de plus de deux millions cinq cent mille dépêches que nous avons faites pendant les deux plus mauvais mois de l’année.

« On roulait les pellicules dans un tuyau de plume que des agents de l’administration attachaient à la queue du pigeon. Leur extrême souplesse et leur complète imperméabilité les rendaient tout à fait convenables pour cet usage.

« En outre, ma préparation sèche a le triple avantage d’être apprêtée en une seule fois, de ne donner aucune bulle, et de ne pas se détacher du verre à la venue de l’image ; elle donne toute sécurité dans le travail et n’expose pas aux déboires comme les procédés ordinaires. »


Près de trois cent mille dépêches furent expédiées ainsi à Paris, avant l’armistice du 28 janvier 1871. La réunion de toutes ces dépêches imprimées formerait une bibliothèque de cinq cents volumes.

On voit dans la figure 508 l’opération de l’agrandissement, fait à Paris, des dépêches arrivées de Tours. On commençait par emprisonner dans deux lames de verre la pellicule de collodion, et on la plaçait sur le porte-objet d’un microscope photo-électrique, sorte de lanterne magique d’une grande puissance. L’image des caractères agrandis était projetée sur un écran, et des