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Mais le transport des marchandises exige, avec les méthodes ordinaires, des manipulations longues et coûteuses, qui sont incompatibles avec un service rapide et à départs fréquents. Il faut compter au moins deux heures pour débarquer 150 à 200 tonneaux de marchandises, et autant pour en mettre à bord la même quantité.

Ce stationnement prolongé est une circonstance tout à fait rédhibitoire.

M. Dupuy de Lôme a résolu le problème d’une manière victorieuse, en embarquant un train entier de chemin de fer en dix minutes, sans qu’un seul des wagons où sont disposées à loisir les marchandises, ait besoin d’être ouvert.

La même rotation appliquée aux voitures à voyageurs évitera les ennuis et les fatigues du transbordement, qui s’accomplit si péniblement par les nuits d’hiver.

Sur la côte d’Angleterre, à Douvres, il y a une rade profonde et bien abritée, où des travaux, qu’il sera facile d’exécuter, permettront l’embarquement et le débarquement des trains.

Sur la côte de France, il faudra créer une gare maritime, pour parer à la faible profondeur de la mer, et assurer le service à toute heure de marée.

Nous décrirons plus loin cette gare maritime. Auparavant, nous donnerons une idée des navires porte-trains, qu’elle est appelée à recevoir.

Ces navires, à roues et à pales articulées, mus par une machine de 800 chevaux nominaux, ont 135 mètres de longueur, 11m,20 de largeur et un tirant d’eau de 3m,50. Ils doivent réaliser, en calme, une vitesse de 18 milles nautiques, et faire la traversée en une heure dix minutes par beau temps, et en une heure et demie dans les circonstances les plus défavorables. Ils reçoivent (par une porte pratiquée à l’arrière) un train formé de 17 à 20 wagons, selon sa composition en voitures de voyageurs ou en wagons de marchandises. Ce train, abrité dans un vaste entre-pont et entouré de salons, buffets, waters-closets, etc., sera rapidement fixé sur les rails, et le navire fera aussitôt sa route.

Mais, dira-t-on, comment va se comporter, dans une mer souvent houleuse, un navire chargé au-dessus de son plan de flottaison, d’un poids aussi considérable ? N’a-t-on pas à craindre des roulis désordonnés ? etc.

La disposition des poids dans le navire porte-train ne sera pas une nouveauté. Dans les navires cuirassés, matés et chargés d’une pesante artillerie, l’élévation des poids est bien autre chose, et pourtant on sait que les frégates cuirassées le Solférino et le Magenta se sont montrées, au point de vue des roulis et des tangages, de parfaits navires de mer.

On peut donc être sûr que l’illustre ingénieur à qui notre marine a dû ses constructions si justement estimées, a choisi pour ses navires porte-trains les dimensions les plus propres à leur assurer la tranquillité désirable.

Avec deux navires en service et un troisième en réserve, on pourra faire par jour seize traversées simples ; on échangera 288 voitures ou wagons de marchandises, soit 2 500 voyageurs et plus de 2 000 tonneaux de marchandises (dans l’hypothèse, bien entendu, où toutes les places et tous les espaces seraient constamment utilisés).


Arrivons à la description de la gare maritime de Calais. C’est un îlot situé à 1 500 mètres des jetées, assez loin pour que les courants entretiennent une profondeur d’eau convenable.

Cet îlot est formé de deux arcs de cercle accolés par leur corde commune, dont la longueur est de 900 mètres. Cette corde est dirigée de l’est à l’ouest, et par conséquent à peu près parallèle au rivage. L’îlot, semblable à un grand navire échoué, présente donc ses deux pointes aux grands courants et les divise facilement.

Le côté du large est défendu par une jetée en maçonnerie, très solide.

Du côté de la terre, une jetée moins forte protège contre le ressac le bassin intérieur. C’est dans cette seconde jetée et vers son extrémité ouest, que s’ouvre l’entrée, large de 80 mètres. La surface intérieure du bassin est de 18 hectares ; sa profondeur, par les plus basses marées, est de 5 mètres.

La jetée extérieure (ou du large) sert à la fois à la défense du bassin et à la circulation des trains qui y arrivent, par l’extrémité est, sur un pont métallique.

Le train parcourt la jetée jusqu’à son extrémité ouest, puis s’aiguille sur une rampe intérieure de 9 millimètres de pente, aboutissant successivement à trois embarcadères situés à des hauteurs différentes, appropriés aux diverses hauteurs de marée et auxquels les navires porte-trains viennent présenter leur arrière.

Avec ces trois embarcadères, chacun d’eux n’a plus qu’à racheter le tiers de la dénivellation maxima, qui est de 7m,29, soit donc 2m,43. La hauteur de chaque embarcadère est réglée de telle sorte que, pour la période de la marée qu’il dessert, le pont du navire se présentera tantôt au-dessous, tantôt au niveau, tantôt au-dessus de la charnière du pont-levis de 30 mètres de longueur, qui sert à passer du quai dans le navire.

On n’aura donc jamais sur ce pont-levis une pente supérieure à 4 centimètres par mètre.

La locomotive ne quittera pas le quai, et elle tirera ou poussera le train par l’intermédiaire de quatre wagons vides formant, entre le train et elle, une sorte de chaîne entrecroisée, maniable et d’un faible poids.

À Douvres, un système analogue, mais plus simple, servira à faire la même opération.