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néral, dans tous les phares bâtis en mer, l’existence des gardiens est souvent exposée. Un jour, dans le phare d’Eddystone, un coup de mer emporta le vitrage supérieur de la lanterne. L’eau y pénétra, éteignit la lampe, et ce ne fut qu’à force de travail et de présence d’esprit qu’on put remettre les choses en état.

Il y a sur le rocher où est bâti ce même phare, une caverne qui s’ouvre à l’extrémité de l’écueil. Par les grosses mers, le bruit produit par l’air s’engouffrant dans cette crevasse, est si violent, que les hommes peuvent à peine dormir. Dans une nuit de tempête, l’un des gardiens de ce phare fut frappé d’une telle frayeur par ce bruit, que ses cheveux blanchirent en quelques heures.

« En 1860, dit M. Esquiros, un phare qui s’élevait sur un point appelé les Double-Stanners, entre Lytham et Blackpool, menaçait ruine depuis quelque temps, à cause des envahissements de la vague, qui ronge peu à peu les côtes en cet endroit. Vainement les ouvriers travaillèrent à consolider l’édifice en élevant de nouveaux piliers autour de la base et en fortifiant surtout la partie qui regardait la mer. Les gardiens s’aperçurent une nuit que la tour vibrait encore plus qu’à l’ordinaire. Le lendemain matin, ils découvrirent qu’une portion de la façade s’était écroulée, et que presque tous les fondements du phare étaient minés par les eaux. Ils emportèrent leurs meubles, mais ils laissèrent les instruments nécessaires pour allumer les lampes. Au tomber des ténèbres, la marée haute les enveloppa ; le vent soufflait avec une telle violence qu’il y avait très-peu d’espoir que le bâtiment résistât jusqu’à l’aube, et pourtant la lumière ne brilla jamais plus éclatante que cette nuit-là. Le lendemain un coup de vent abattit tout à fait l’édifice, mais les hommes se retiraient avec les honneurs de la guerre : le feu avait brûlé jusqu’au dernier moment[1]. »

Nous avons dit, en parlant de la construction des tours, que lorsqu’elles sont très-élevées, toute la maçonnerie plie par l’effort du vent, de sorte que la tour oscille sur sa base, comme un vaisseau secoué par la tempête. Il faut une certaine force d’âme et une grande habitude pour résister à l’impression de terreur causée par ce phénomène.

Une anecdote qui a eu pour théâtre le phare de Bréhat, et qui nous a été racontée par M. Léonce Reynaud, le savant directeur du service des phares français, aura ici naturellement sa place.

C’était par une terrible nuit de tempête. La tour du phare de Bréhat oscillait comme un navire secoué par la fureur des vagues, ainsi qu’il arrive à tous les phares très-élevés. Tout à coup une oie sauvage, sans doute emportée par le tourbillon furieux des vents, brise l’une des glaces de la lanterne, épaisse pourtant de 8 millimètres, passe entre les deux plans de lentilles à échelons, et vient tomber sur la lampe qu’elle fait voler en éclats.

Aussitôt le phare s’éteint !

Le malheureux gardien, au milieu de cette épouvantable furie des éléments, sentant la tour osciller d’une manière effrayante, et voyant la lumière du phare subitement éteinte, crut que l’édifice était emporté par les vagues. Plongé dans ces ténèbres subites, il s’imagina tomber à la mer, avec les débris de l’édifice, et il perdit connaissance.

Lorsque son camarade, après l’apaisement de la tempête, monta dans la lanterne, avec une lampe allumée, il trouva le malheureux gardien encore évanoui. Il essaya de le faire revenir de cet état, et n’y parvint qu’à grand’peine.

Revenu de son évanouissement, le pauvre homme ne pouvait articuler une parole, et il demeura huit heures sans parler. Il raconta alors qu’il s’était cru au fond de la mer ; et pendant plusieurs jours il ne put effacer de son esprit l’horrible état dans lequel il était demeuré pendant ce long intervalle.


  1. L’Angleterre et la Vie anglaise, Paris, 1869, in-12, p. 298.