Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 4.djvu/442

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’à tout autre d’avoir tenté de ravir à Fresnel le fruit de ses travaux.

C’est en 1827 que Brewster revendiqua pour lui l’invention des phares lenticulaires, dans une dissertation qu’il lut à la Société royale d’Édimbourg, et qui a pour titre, Account of a new System of illumination for Light Houses (Description d’un nouveau système d’éclairage des phares). Brewster rappelle qu’il a publié en 1811, dans l’Encyclopédie écossaise, un article (Burning instruments), où se trouve exposée l’idée de construire par pièces les lentilles à échelons. À cela, il faut répondre que cette idée est de Condorcet, qui l’a émise dans son Éloge de Buffon, prononcé vingt-trois ans auparavant. On peut même dire à David Brewster : « Cet Éloge de Buffon par Condorcet, vous était connu, puisque vous avez inséré, dans l’Encyclopédie écossaise, l’article Buffon, qui précède l’article Burning selon l’ordre alphabétique, et que l’Éloge de Buffon par Condorcet, s’y trouve cité. Donc, vous vous appropriez sciemment une méthode qui ne vous appartient pas. »

Sir David Brewster n’a donc pas inventé les lentilles à échelons, qui avaient été décrites longtemps avant lui. Quant à prétendre qu’il ait inventé le système lenticulaire, appliqué à l’éclairage des phares, ce serait folie. En effet, dans l’article Burning instruments le mot phare n’est pas même prononcé. En décrivant son appareil, le savant anglais ne songeait qu’aux effets calorifiques de la lumière solaire concentrée au foyer d’une lentille ; il n’allait pas plus loin que Buffon et n’avait en vue que les applications calorifiques que Buffon avait voulu réaliser. Bien mieux, Brewster, éditeur de l’Encyclopédie écossaise, publia dans ce recueil, en 1819, un grand travail de Stevenson sur les phares, et il ne saisit pas cette occasion, toute naturelle, d’affirmer les droits qu’il pouvait avoir à la découverte du système lenticulaire. Une courte note aurait suffi pour consigner cette réclamation. Or, Brewster ne formula aucune prétention de ce genre. Il attendit que le système lenticulaire fût établi et fonctionnât sur nos côtes, pour élever la voix, et réclamer ce que le monde savant tout entier attribuait, à juste titre, à Augustin Fresnel.

Il est un dernier argument qui réfute complétement les prétentions de Brewster. Ce physicien donne à entendre que les appareils lenticulaires ne tirent tous leurs avantages que des lentilles à échelons. Ici nous rappellerons la remarque que nous avons faite en parlant des perfectionnements introduits par Fresnel et Arago dans la source lumineuse, c’est-à-dire les mèches concentriques. Sans cette importante modification de l’appareil d’éclairage, due aux deux savants français, les phares lenticulaires perdraient toute leur supériorité ; il faudrait même leur préférer les phares à simples réflecteurs métalliques. La lampe à mèche concentrique occupe donc dans l’invention des phares modernes, une place considérable. David Brewster l’a-t-il également inventée ? À cette condition seulement, et en admettant que ses réclamations concernant les lentilles fussent fondées, ce qui est inexact, on pourra reconnaître que l’invention des phares lenticulaires lui appartient.

Le tenace amour-propre britannique ne renonce qu’avec peine à faire de Sir David Brewster l’inventeur des lentilles à échelons. Dans les notices biographiques qui ont paru dans les revues anglaises, en 1868, à l’occasion de la mort de ce savant, on n’a pas manqué de le déclarer « le bienfaiteur des marins, » pour son invention des phares lenticulaires. Les Anglais prétendent que Brewster a inventé les lentilles à échelons, parce qu’il a publié, en 1827, le mémoire dont nous avons parlé, Description d’un nouveau système d’éclairage des phares. Mais, répétons-le, Brewster ne faisait, dans cet ouvrage, que décrire l’invention que les patients travaux de Fresnel avaient mise au jour en 1822,