Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 4.djvu/426

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Beaucoup plus tard, c’est-à-dire vers 1540, les Anglais s’étant emparés de Boulogne, flanquèrent le phare de donjons et de créneaux ; de sorte qu’il devint partie intégrante d’une forteresse qui défendait la ville.

Cent ans s’étaient écoulés depuis cette restauration et cette incorporation de la tour d’Ordre à la forteresse de Boulogne, lorsque l’ouvrage tout entier s’écroula, et voici comment.

Les habitants de Boulogne avaient creusé dans la falaise de larges excavations, pour l’exploitation des carrières de pierre qu’elle renfermait. Ils creusèrent tant et si bien, qu’à la fin les flots vinrent battre la base même de la tour, et en miner les fondements. Le résultat était facile à prévoir. En 1640, un premier éboulement se produisit. Il fut suivi, quatre ans après, d’un autre qui compléta la destruction du fort et de la tour.

Les échevins de Boulogne montrèrent dans cette circonstance une négligence impardonnable. Dans l’intervalle des deux chutes, ils ne prirent aucune mesure pour conserver ce qui restait d’un monument si intéressant pour l’histoire. Heureusement on en possédait le dessin, ce qui permit à Montfaucon de le décrire dans son Antiquité expliquée, et de le représenter comme nous l’avons fait plus haut (fig. 268), en s’aidant de quelques renseignements puisés dans le pays.

La tour d’Ordre était de forme octogonale. Selon Bucherius, elle mesurait environ à la base 200 pieds de périmètre, ce qui donne 25 pieds pour chaque côté. Elle se composait de douze parties en retrait les unes sur les autres, mais d’un pied et demi seulement. Les galeries, ainsi formées, étaient donc trop étroites pour qu’on pût s’y promener ; on ne s’y engageait que lorsque l’édifice avait besoin de réparations extérieures. Ce qu’il y avait de curieux, c’est que chaque entablement était pris sur l’épaisseur du mur immédiatement situé au-dessous, de sorte que les fondations devaient avoir une épaisseur considérable. Au sommet était allumé le fanal.

Montfaucon se demande si le feu brûlait en plein air, ou s’il était défendu contre la violence du vent, et il décide que la seconde hypothèse est la seule admissible. Selon lui, le fanal était placé dans une chambre, et n’éclairait qu’à travers les fenêtres ; car, « si on l’avait mis, dit Montfaucon, sur la plus haute surface du phare et en plein air, les tempêtes et les vents qui devaient souffler d’une horrible force dans un lieu si haut, auraient tout emporté. »

L’aspect de l’édifice entier n’était pas sans charmes. Pour satisfaire l’œil, on avait mis quelque variété dans la couleur et la disposition des pierres.

« On voyait d’abord, dit Montfaucon, trois rangs d’une pierre de la côte, qui est de couleur de gris de fer ; ensuite deux lits d’une pierre jaune plus molle, et au-dessus de ceux-là deux lits de brique très-rouge et très-ferme, épaisse de deux doigts, longue d’un peu plus d’un pied, et large de plus d’un demi-pied : la fabrique continuait toujours de même. »

On ne sait pas au juste quelle était la hauteur de la tour de Boulogne. D’après une étude sur ce monument, publiée par M. Egger, dans la Revue archéologique, elle avait 200 pieds de hauteur, c’est-à-dire autant que de circonférence à sa base. M. Egger ajoute pourtant qu’il trouve ce chiffre exagéré, d’autant plus que le phare se dressait sur une falaise déjà élevée de 100 pieds au-dessus du niveau de la mer. Chaque étage était percé d’une ouverture regardant le midi. Dans les premières années du xviie siècle, on pouvait voir encore les trois étages inférieurs formant trois chambres voûtées, mises en communication par un escalier intérieur.

Quelle est l’étymologie du nom Tour d’Ordre donné à la tour de Boulogne ? Il existe une explication assez ingénieuse de ce nom. De Turris ardens (tour ardente), on aurait fait Turris ardans, qui fut, en effet, l’appellation de l’édifice pendant plusieurs siècles.