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n’éclaireront pas à deux lieues ; à peine seront-elles visibles à une lieue et quelques mètres. C’est donc parce que la lumière émanée de l’huile en combustion, est promptement disséminée dans l’air, que ces deux lampes ne peuvent, dans le cas dont nous parlons, ajouter leurs puissances l’une à l’autre et les transporter à une distance éloignée. Il est évident, en effet, que si l’on pouvait concentrer en un même point mathématique la lumière émanée de ces deux lampes, cette lumière serait visible à une distance double, à la distance de deux lieues. Cet effet de concentration de la lumière est précisément la propriété toute spéciale qui distingue la source lumineuse qui provient de l’électricité. C’est parce qu’elle concentre et accumule en un point unique une masse énorme de rayons lumineux, que la lumière électrique perce avec une facilité incroyable les brouillards et les brumes, et se transporte à de prodigieuses distances.

La qualité toute spéciale, l’avantage réel de la lumière électrique, c’est donc de transporter au loin l’effet lumineux, d’être visible à des distances très-considérables. Ce mode d’illumination est, d’après cela, éminemment utile pour l’éclairage des phares et des signaux, pour les télégraphes aériens que l’on fait fonctionner pendant la nuit, pour les signaux militaires, etc. Il présente, en particulier, pour l’illumination des phares, une supériorité immense sur tous les autres modes d’éclairage.

On verra dans la notice sur les Phares, qui fait partie de ce volume, que l’éclairage électrique tend partout à se substituer à la lampe à huile, pour l’illumination à grande portée. En France, en particulier, le phare du cap La Hève, près du Havre, est éclairé depuis plusieurs années par la lumière électrique, et depuis le mois de décembre 1868, le phare du cap Grisnez, sur la Manche, a été muni du même système éclairant.

Mais cette qualité spéciale que présente la lampe électrique, de transporter la lumière à des distances considérables, si utile pour le cas de l’illumination lointaine, perd la plus grande partie de son importance quand il s’agit de l’éclairage public ou privé. Cette propriété d’éclairer très-loin et de concentrer en un même point une prodigieuse intensité lumineuse, ne saurait, en effet, convenir aux cas habituels de l’éclairage. Installé au milieu d’une place publique ou dans une rue, un phare électrique ne serait d’un avantage positif qu’à la circonférence de la région illuminée ; au centre et à une certaine distance de ce point, l’effet de cet éclat serait inutile et par conséquent perdu.

On a parlé d’installer au-dessus d’une ville, et à une certaine élévation dans les airs, un phare qui rayonnerait sur la cité entière. Mais pour combattre les ombres, il faudrait donner au foyer lumineux une extraordinaire intensité. Quelle que soit la puissance éclairante de la lumière électrique, elle est bien loin d’égaler celle du soleil[1]. Pour produire sur une ville, avec un foyer électrique, un effet comparable à celui de la lumière du jour, il faudrait faire usage d’une telle quantité d’électricité, que la dépense dépasserait toute mesure. Enfin, si cet éclairage artificiel produisait un résultat utile dans les points éloignés de son centre, il aurait l’inconvénient d’éblouir, d’aveugler, les personnes placées dans le voisinage du foyer.

Pour parer, dans le cas dont nous parlons, à ce dernier inconvénient, Arago avait proposé d’établir un phare unique, invisible pour les personnes placées au-dessous, et dont la lumière, allant se réfléchir sur les nuées, retomberait sur la ville. Mais le ciel

  1. La lumière électrique est inférieure à la lumière du soleil en ce qu’elle ne donne pas le demi-jour, en ce qu’elle ne rend pas visibles les lieux non éclairés directement. En d’autres termes, la lumière électrique laisse une ombre épaisse derrière la région illuminée. Cela est si vrai que, dans les travaux de nuit à la lumière électrique, si un ouvrier laisse tomber un outil dans l’ombre, il lui est impossible de le trouver : il faut qu’il allume une chandelle pour le chercher. C’est ce qui n’arrive pas, on n’a pas besoin de le dire, avec la lumière du soleil, qui éclaire partout par diffusion.