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pression sur l’esprit du public, qu’une brochure, ou plutôt un pamphlet, qui fut publié au mois d’août 1823. Les noms des auteurs de l’ouvrage suffisaient, d’ailleurs, à exciter l’attention ; car il portait la signature de Charles Nodier et d’Amédée Pichot, docteur en médecine. Nous croyons qu’il ne sera pas inutile de citer quelques passages de la curieuse préface qui sert d’introduction à l’opuscule de l’ingénieux romancier et du docteur arlésien. Bien que consacrées à la défense d’un paradoxe, ces pages peuvent encore être lues avec profit, parce qu’elles présentent le reflet des opinions du moment, sur la question de l’éclairage au gaz, et parce qu’elles font bien comprendre tous les obstacles que rencontrent, en général, les débuts des inventions les plus utiles.

Dans la préface de son Essai critique sur le gaz hydrogène, Charles Nodier se met en scène avec son ami, le docteur Amédée Pichot. Il arrive d’un voyage, il vient de parcourir les ruines magnifiques d’Orange, de Nîmes, d’Arles et de Saint-Remi ; mais à son retour, il est tourmenté de sensations importunes, il ne reconnaît plus Paris. Une révolution subite a sans doute changé, dans la capitale, l’ordre et les lois de la nature, car il se trouve obsédé de mille impressions fâcheuses, dont il cherche vainement la cause. Cette cause, le docteur provençal la signale sans peine à son ami attristé : c’est l’existence, à Paris, du gaz de l’éclairage.

La victime affligée de toutes ces impressions pénibles, énumère alors les divers symptômes du mal inconnu qui l’assiège ; et le docteur, rappelant la mélopée de Crispin, dans le Légataire universel : C’est votre léthargie, répond chaque fois : C’est le gaz ! C’est le gaz hydrogène ! Mais laissons la parole au pauvre malade.

« Ce que j’éprouve, cher docteur, se compose d’une longue suite de légers malaises et de petites inquiétudes que je n’ai pu parvenir jusqu’ici à rattacher à une cause connue. Vous allez vous en faire une idée par les faits. Le lendemain de mon arrivée, je gagnai lentement, par le faubourg Montmartre et le boulevard du Panorama, ce petit cabinet littéraire auquel la fidélité de l’habitude me ramène tous les matins, où je parcours les journaux sans les lire, et que je quitte, après un quart d’heure d’occupation désœuvrée, aussi bien instruit que si je les avais lus. Quel est mon étonnement de trouver les rues labourées de sillons profonds et fétides, dont quelques parties sont à peine recouvertes de pavés inégaux, et au travers desquels l’esprit préoccupé de périls en périls, n’a pas même le loisir de poursuivre une rime ou de s’arrêter sur un hémistiche !

« Le docteur, à demi-voix. — C’est le gaz hydrogène.

« L’ami. — Comme ce fâcheux désagrément se renouvelle partout, je prends la secrète résolution de borner mes promenades aux boulevards. Vous savez combien j’ai toujours aimé cette riante ceinture d’arbres qui nous tient lieu, jusqu’à un certain point, des squares de Londres, et qui prête à la sombre monotonie de nos rues l’attrait séduisant de la verdure. Concevez mon chagrin : l’automne n’était pas commencé, et la plupart de nos grands ormes étaient déjà dépouillés de leurs ombrages ! Que dis-je ? ils ne s’en couronneront plus, et on croirait qu’une contagion mortelle a desséché leurs racines et flétri leurs rameaux.

« Le docteur. — C’est le gaz hydrogène.

« L’ami. — L’heure du dîner arrive ; elle est même un peu passée, et bien m’en a pris, quand j’arrive chez mon restaurateur ordinaire, au Palais-Royal, Pendant que je jette les yeux sur la carte, une explosion épouvantable brise les lustres, les quinquets, les glaces, les boiseries, et jonche des débris des solives, des poutres et du plafond la salle, heureusement déjà vide, où j’allais choisir une place.

« Le docteur. — C’est le gaz hydrogène.

« L’ami. — Après un dîner lestement improvisé chez Pestel, je prends le chemin de mon théâtre favori, par le passage Feydeau, où la Providence me préserve d’un nouveau danger. Je me dérobe, presque miraculeusement, à la chute d’un corps de maçonnerie destiné à contenir je ne sais quel appareil.

« Le docteur. — C’est le gaz hydrogène.

« L’ami. — Je ne fais qu’une courte station au café pour prendre un verre d’eau sucrée, que je porte à ma bouche avec une heureuse lenteur, et dont l’évaporation d’un gaz délétère trahit par hasard les propriétés homicides. Cette eau, produit d’une source voisine, connue par sa salubrité, avait été corrompue par le brisement accidentel d’un conduit qui voiture, je ne sais pour quel usage, un air méphitique et empoisonné.

« Le docteur. — C’est le gaz hydrogène.

« L’ami. — Enfin, je viens reprendre ma place d’habitude à l’entrée de l’orchestre des Variétés, et oublier facilement sans doute, les ennuyeuses tribula-