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fer. Le projet de cet établissement avait été conçu, deux années auparavant, par Winsor, pour servir à l’éclairage de la Chambre des pairs, du théâtre de l’Odéon et d’une partie du faubourg Saint-Germain ; repris en 1817, il fut définitivement exécuté en 1818. En même temps on mit en activité des appareils déjà construits dans l’intérieur de l’hôpital Saint-Louis, pour l’éclairage de cet établissement. Ces appareils avaient été exécutés d’après les plans et les indications d’une commission nommée par le préfet de la Seine, M. de Chabrol, et composée de savants et de praticiens expérimentés.

En présence des notables progrès que l’éclairage par le gaz faisait dans l’opinion et dans l’estime du public, les industries diverses qui voyaient dans son adoption la cause de leur ruine, s’empressèrent de réunir leurs efforts pour l’accabler. La voie scientifique parut la plus favorable pour combattre un adversaire issu des travaux des savants. C’est dans cette vue qu’en 1819, Clément Désormes, publia, sous le titre d’Appréciation du procédé d’éclairage par le gaz hydrogène du charbon de terre, un mémoire, fort étudié, dans lequel il s’efforçait de mettre en évidence les inconvénients du gaz hydrogène bicarboné comme agent d’éclairage.

Nous donnerons quelques extraits de ce mémoire de Clément Désormes, afin de montrer comment les savants eux-mêmes peuvent, de très-bonne foi d’ailleurs, plaider la cause de l’obscurantisme.

« Priver, dit Clément Désormes, l’humanité de la découverte la moins importante en la repoussant injustement, serait une action bien coupable sans doute ; mais adopter tout ce qui se présente avec l’attrait de la nouveauté, recommander, exécuter tous les procédés nouveaux, sans une étude approfondie de leur utilité, ce ne serait pas discerner le bon du mauvais, ce serait courir le risque de mal faire et de diminuer la richesse au lieu de l’augmenter. Personne n’a peut-être porté plus loin que moi les espérances que l’humanité peut encore avoir, et personne n’a une plus haute idée des succès que l’avenir réserve aux hommes de génie ; mais, je sais aussi quels risques immenses leur offre la nature des choses, et je ne crois à l’utilité qu’après démonstration. Quels moyens avons-nous d’acquérir cette certitude ? L’expérience, les discussions qu’elle amène et les conséquences qu’on en peut tirer. »

Après ce préambule, Clément Désormes commence à étudier le gaz sous le rapport économique. Il conclut de l’examen du prix de sa fabrication à Paris et dans les diverses villes de l’Angleterre, que le gaz est beaucoup plus dispendieux que l’huile. Comparant ensuite l’éclairage à l’huile avec les nombreuses opérations nécessaires pour obtenir le gaz hydrogène et le purifier, il trouve bien plus d’avantages dans le système qui consiste à brûler tout simplement les corps gras dans les lampes, que dans celui qui consiste à décomposer les mêmes corps gras dans des cornues chauffées au rouge, pour en retirer du gaz hydrogène bicarboné. Clément Désormes établit, à ce propos, une comparaison très-élégante entre ces deux genres de distillation, qui conduisent, en définitive, au même résultat chimique : bien entendu qu’il met tous les avantages du côté de l’éclairage à l’huile.

« L’huile, nous dit-il, n’est-elle pas de l’hydrogène carboné liquide, plus chargé de charbon qu’aucun autre à l’état de gaz, et par cela même n’est-il pas celui qui, à égalité, donne la plus vive lumière ?

« Est-ce que l’état liquide de l’huile n’est pas infiniment plus commode dans l’usage que la forme gazeuse ?

« Est-ce que la mobilité du gaz, cette faculté qu’il a de suivre les conduits qu’on lui offre pour arriver à toutes les destinations qu’on lui indique, n’est pas plus que compensée par la dépense des conduits et par l’extrême commodité d’emporter l’huile partout où l’on a besoin de lumière ?

« La distillation est sans doute une belle opération de chimie, mais en économie, le beau n’est que l’utile ; et d’ailleurs, l’huile ne se distille-t-elle pas, quand elle brûle autour d’une mèche ardente ? En effet, figurons-nous bien ce qui se passe dans cette opération si simple, et pourtant bien belle, mais que nous n’admirons pas parce qu’elle a toujours été sous nos yeux. Un réservoir de lampe n’est-il pas l’équivalent du gazomètre ? Quand il contient un litre d’huile ne remplace-t-il pas un volume de