Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 4.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais les chantiers de la Charente étaient à peu près déserts. Les fonds pour les travaux du canal, ne venaient plus, car la guerre les absorbait. C’était au moment de l’admirable campagne de Bonaparte en Italie. Les travaux publics s’accordent mal avec ces crises glorieuses. Aussi Philippe Lebon, l’ingénieur d’Angoulême, n’avait-il plus autre chose à faire qu’à contrôler le travail des cantonniers de route. Triste besogne pour une imagination aussi ardente ! La République ne payait pas mieux ses ingénieurs que ses ouvriers. C’est en vain que Lebon écrivait des lettres pressantes, pour obtenir qu’on lui envoyât les sommes dues sur ses émoluments. Rien n’arrivait. Sa femme vint à Paris, pour obtenir satisfaction, et elle eut enfin l’avis que, vu sa détresse, elle recevrait bientôt l’ordonnancement d’une petite somme. Madame Lebon, fière comme une républicaine, répondit à cet avis par une lettre qui existe aux archives de l’École des ponts et chaussées. Au-dessous du triangle égalitaire, on lit ce qui suit, écrit d’une main virile :

Liberté, égalité. — Paris, 22 messidor an VII de la République française une et indivisible. — La femme du citoyen Lebon au citoyen ministre de l’intérieur.

« Ce n’est ni l’aumône ni une grâce que je vous demande, c’est une justice. Depuis deux mois, je languis à 120 lieues de mon ménage. Ne forcez pas, par un plus long délai, un père de famille à quitter, faute de moyens, un état auquel il a tout sacrifié… Ayez égard à notre position, citoyen ; elle est accablante et ma demande est juste. Voilà plus d’un motif pour me persuader que ma démarche ne sera pas infructueuse auprès d’un ministre qui se fait une loi et un devoir d’être juste.

« Salut et estime. Votre dévouée concitoyenne,

« Femme Lebon, née de Brambilla. »

Peu de temps après, Lebon, fatigué de son oisiveté dans la Charente, demanda à venir à Montargis, où devaient commencer des travaux de canalisation, et à se rapprocher ainsi de Paris, « l’incomparable foyer d’étude. »

C’est à Paris même qu’on l’appela. Il fut attaché au service de M. Blin, ingénieur en chef du pavage.

Deux mois après, il obtint le grade d’ingénieur en chef du département des Vosges. Il ne crut pas devoir accepter ce nouveau poste, préférant demeurer à Paris, pour continuer à y poursuivre son projet d’éclairage au gaz.

Il prit en 1801 un nouveau brevet d’invention, trois ans après celui qu’il avait déjà obtenu pour ses procédés de distillation. Selon M. J. Gaudry, ce brevet d’addition est un véritable mémoire scientifique, plein de faits et d’idées.

« Là, dit M. J. Gaudry, sont spécifiés l’hydrogène, le thermolampe, leurs divers produits et leurs applications nombreuses, sans oublier les machines motrices, le chauffage des chaudières à vapeur et les aérostats. Toute une fabrique de gaz est décrite avec fourneau de distillation, appareils condenseur et épurateur, y compris les brûleurs de gaz dans des globes fermés, pour empêcher les émanations de se répandre dans les appartements. »

Le 30 novembre an VIII, Lebon proposa au gouvernement de construire un appareil pour le chauffage et l’éclairage publics. Mais cette proposition ne fut pas adoptée.

Pour convaincre le public de la réalité et des avantages de sa découverte, Philippe Lebon loua l’hôtel Seignelay, situé rue Saint-Dominique-Saint-Germain, près de la rue de Bourgogne. Il y établit des ateliers et un vaste thermolampe qui « distribuait la lumière et la chaleur dans de grands appartements, dans les cours, dans les jardins décorés de milliers de jets de lumière sous la forme de rosaces et de fleurs. » La foule se pressait dans les jardins de l’hôtel Seignelay éclairés par le gaz extrait du bois. On admirait surtout une fontaine illuminée par des jets lumineux. Des urnes déversaient l’eau, au milieu des flammes.

Au mois d’août 1801 (an X), Lebon fit paraître une sorte de prospectus, destiné à