Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/740

Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’est que l’art intervient ici avec le plus grand bonheur, et que les qualités comestibles qui font rechercher la Moule, sont un résultat de l’industrie humaine. Cette industrie est, d’ailleurs, trop curieuse ; elle se rattache trop directement à la pisciculture, pour que nous n’entrions pas dans quelques détails à ce sujet.

Pour faire comprendre les pratiques de la myticulture, ou culture artificielle et multiplication des Moules, nous serons obligé de remonter dans l’histoire, jusqu’au Moyen âge.

L’anse de l’Aiguillon, située à quelques kilomètres de la plage de la Rochelle, n’est qu’une immense et stérile vasière. La population du littoral n’avait encore trouvé aucun moyen pour en tirer parti, lorsqu’en 1326, un événement imprévu vint lui fournir abondance et richesse.

Un jour, une barque, chassée des côtes d’Irlande, et montée par trois hommes, vint se briser contre la côte. Les pêcheurs du littoral, qui vinrent au secours des naufragés, ne réussirent qu’à grand’peine à sauver le patron de l’équipage. Cet homme se nommait Walton. Comme on le verra, il paya largement sa dette à ses sauveurs et à leurs fils.

Exilé sur cette plage solitaire de l’Aunis, Walton vécut d’abord en faisant la chasse aux oiseaux marins.

Les oiseaux de mer et de rivage fréquentaient en grande abondance les parages de cet immense marais. Walton pensa que la chasse de ces oiseaux deviendrait l’objet d’un commerce lucratif si on pouvait les prendre en quantités notables.

Il savait que pendant la nuit les oiseaux marins volent avec vitesse, en rasant la surface de l’eau. Sur cette donnée, il fabriqua un filet particulier, déjà sans doute en usage dans son pays d’Irlande, et qu’il nommait filet de nuit, ou filet d’allaoret, de deux vieux mots, l’un celte et l’autre irlandais (allaow, nuit, ret, filet).

Ce filet de nuit se composait d’une immense toile, longue de 300 à 400 mètres, haute de 3 mètres, tendue horizontalement comme un rideau, sur de grands piquets enfoncés dans la vase. Pendant l’obscurité de la nuit, les oiseaux, en voulant raser la surface de l’eau, donnaient contre ce filet, et restaient engagés dans ses mailles.

Mais la baie, ou plutôt l’anse de l’Aiguillon, n’est qu’un vaste lac de boue, dont le fond se dérobe incessamment sous les pieds. Les barques ordinaires ne peuvent y voguer qu’avec difficulté. Après avoir imaginé le filet destiné à prendre les oiseaux, il fallait donc imaginer une embarcation particulière qui permît de se diriger rapidement et sans danger sur cet océan de boue.

Walton construisit une pirogue de la plus ingénieuse simplicité, avec laquelle il fit son propre domaine de la vasière de l’Aiguillon. Cette pirogue, encore en usage de nos jours, est connue à la Rochelle sous le nom d’açon. C’est une caisse en bois, longue de 3 mètres, large et profonde d’un demi-mètre, et dont l’extrémité antérieure se recourbe en forme de proue. L’homme qui l’emploie se place à l’arrière, appuie son genou gauche sur le fond, se penche en avant, saisit les deux bords avec ses mains, et laisse en dehors, afin de pouvoir s’en servir en guise de rame, sa jambe droite, chaussée d’une longue botte. En plongeant cette jambe libre dans la vase, pour prendre un point d’appui, la retirant, puis la plongeant de nouveau, il communique chaque fois à la frêle embarcation une impulsion vigoureuse, qui la fait glisser à la surface de l’eau du marais, et la transporte assez rapidement d’un point à un autre (fig. 603).

En exerçant dans le marais de l’Aiguillon son métier de chasseur, Walton ne tarda pas à constater un fait, qui lui apparut comme un trait de lumière, comme une subite révélation.

Les Moules abondent dans les parages de l’Aiguillon, comme sur tous les autres