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rendait, comme à l’ordinaire, accompagné d’un domestique, dans son cabriolet, à son établissement orthopédique, lorsqu’il aperçoit, aux dernières maisons de la ville, près du couvent des Sœurs noires, un jeune homme, qui, de sa fenêtre, lui fait signe de s’arrêter, comme ayant à lui parler. Delpech reconnaît un de ses malades de la ville, et il retient un moment son cheval.

Le jeune homme descend, en effet ; mais il est armé d’un fusil à deux coups. Il se place devant la porte, ajuste Delpech et fait feu. Le malheureux chirurgien, le cœur traversé d’une balle, tombe la face en avant, dans la voiture. Le cheval effrayé part, et passe rapidement devant le meurtrier. Celui-ci, craignant de n’avoir pas atteint sa victime, tire un second coup de fusil, au jugé, dans la capote du cabriolet qui vient de le dépasser. Ce deuxième coup tue roide le domestique de Delpech, qui venait de relever son maître du fond de la voiture, et qui le soutenait dans ses bras.

Le cheval s’arrêta de lui-même, devant la porte de l’établissement orthopédique, avec les deux cadavres dans le cabriolet.

Après ce double meurtre, l’assassin remonte dans sa chambre, recharge les deux coups de son fusil, et se fait sauter le crâne.

Quel était ce misérable et quelle cause avait pu le porter à un si exécrable forfait ? Il était Grec d’origine, et s’appelait Demptos. Personne n’a pu connaître l’horrible secret qui causa la mort de ces trois hommes. On sut seulement que Demptos recherchait en mariage une jeune personne, dont la main venait de lui être refusée. Comme Delpech lui avait donné des soins, on a dit que Delpech, consulté sur la convenance de l’union projetée, aurait pu émettre à ce sujet une opinion défavorable. Mais l’illustre chirurgien était trop pénétré de l’importance du secret médical, pour avoir commis quelque indiscrétion de ce genre. Peut-être seulement Demptos conçut-il ce soupçon, et cela put suffire à armer son bras. Il était, en effet, irascible et violent à l’extrême. Peu d’années auparavant, et pour la cause la plus futile, il avait déjà attenté à la vie d’un notaire de Bordeaux, et subi, pour ce crime, quatre années d’emprisonnement au fort du Hâ. Peut-être aussi Demptos n’était-il qu’un aliéné.

Tout ce que l’on peut dire, c’est que la veille même du crime, Demptos, assis au théâtre, dans une loge, entre M. et Mme  Delpech, tenait un de leurs enfants sur ses genoux, et semblait causer affectueusement avec l’homme qu’il devait frapper le lendemain.

Rien ne peut dépeindre les sentiments de désespoir et d’horreur de la population de Montpellier, à la nouvelle de cet événement funeste. Accouru sur le lieu de ce spectacle tragique, je n’oublierai jamais la stupeur générale qui glaçait tous les cœurs, lorsque vint à passer lentement, à travers la foule muette et indignée, la voiture de Delpech, toute souillée de sang, et montrant encore la trace visible des deux balles du meurtrier.

On comprend maintenant pourquoi monsieur Coste ne retourna pas à Montpellier. Il s’était lié, à Paris, avec tous les naturalistes en renom, particulièrement avec son compatriote Flourens. Il prit donc le parti de demeurer dans la capitale, pour y continuer ses recherches d’embryogénie. Les travaux qu’il ne cessa de poursuivre dans la même direction, pendant plusieurs années, finirent par le placer au premier rang dans cette partie de la science, et en 1840, grâce à l’appui de M. Guizot, on créa pour lui, avec l’approbation de tous les savants, une chaire d’embryogénie au Collége de France. Bientôt l’Institut lui ouvrit ses portes.

La pisciculture étant venue à faire beaucoup de bruit dans le monde, en 1848, à la suite des travaux des deux pêcheurs de la Bresse, M. Coste se jeta avec ardeur dans l’étude de cette méthode. Déjà, d’ailleurs, il avait commencé des expériences sur la domestication des poissons. À cet ordre de travaux