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Nous ne terminerons pas cette rapide esquisse de l’histoire du drainage, sans bien préciser ce qui constitue la nouveauté, l’originalité de cette opération agricole. Le drainage moderne n’est pas une pratique ancienne. Le drainage des anciens n’était que le germe du système de nos jours, car jusqu’à l’année 1850, il fut à peine soupçonné par les agriculteurs. Le système actuel comprend l’assainissement complet, méthodique, admirablement simplifié, des terrains argileux, des terres froides et crues, dans lesquelles les eaux pluviales s’accumulent lors de la mauvaise saison, et qui y sont retenues par un sol ou par un sous-sol imperméable. Les saignées souterraines pratiquées par les anciens, et celles qui ont été décrites par Olivier de Serres ou Walter Blight, étaient seulement destinées à l’asséchement des terrains marécageux, à l’écoulement des eaux de fond, ou provenant de sources voisines. Ainsi, indépendamment des perfectionnements sans nombre apportés aux moyens d’exécution, les saignées souterraines appliquées à l’assainissement général et complet des terrains argileux, des terres froides et crues, constituent le côté réellement neuf et original du drainage moderne.

Mais le lecteur se demande peut-être, pourquoi cette excellente méthode, déjà entrevue dans l’antiquité, n’avait pas été appliquée et généralisée plus tôt ? C’est qu’il y eut toujours plus de poëtes pour chanter les épis de la moisson que de savants pour enseigner à les faire germer. C’est que dans les temps qui ont précédé le nôtre, l’intelligence humaine, usant ses meilleures forces sur les champs de bataille, ou dans les ruineux préparatifs de la guerre, négligeait nécessairement les arts fructueux de la paix. C’est que le colon romain, le serf du Moyen âge, le vilain de la féodalité, le paysan des siècles derniers, exploités, ruinés, écrasés par les charges d’impôts excessifs, arrachant avec peine à la mamelle avare de la terre, quelques gouttes d’un lait, que lui disputaient toutes les tyrannies, n’avaient eu, jusqu’à notre époque, ni la pensée, ni le temps, ni l’argent nécessaires pour se livrer à des expériences agricoles. Ne pouvant songer qu’à leur propre conservation, toujours précaire, toujours menacée, les agriculteurs du Moyen âge, de la Renaissance et des siècles suivants, ne pouvaient s’inquiéter du progrès des arts, ni s’appliquer à la science difficile de l’exploitation du sol. Toujours opprimés, ils ne pouvaient être novateurs. L’agriculture a dû suivre les progrès de la civilisation. Ce n’est donc que dans notre siècle qu’elle a pu entrer dans la voie des améliorations utiles, et le drainage figure parmi l’une des plus précieuses conquêtes qu’il lui ait été donné d’accomplir depuis son affranchissement.


CHAPITRE II

qu’est-ce que le drainage ? — ses effets généraux et secondaires. — signes extérieurs du besoin du drainage.

Pour bien comprendre le sens du mot drainage, reprenons cette ingénieuse comparaison du pot à fleurs, énoncée dans nos premières pages. Le petit sol artificiel que ce vase renferme, se compose de mottes de terre, lesquelles ne sont jamais en contact parfait, à cause de la grande variété de forme et de grosseur de ces particules. Il existe donc entre ces mottes des vides, qui communiquent plus ou moins directement ensemble, et constituent comme un système de petits canaux. Mais ces mottes de terre elles-mêmes ne sont pas d’une densité absolue ; elles sont criblées de trous, poreuses, et ressemblent à autant de petites éponges. Quand la terre est parfaitement sèche, les canaux qui existent entre les particules de terre et les pores dont nous venons de parler, sont remplis d’air. Qu’arrivera-t-il si nous bouchons le trou du pot à fleurs, et si nous arrosons le sol abondamment ? L’eau pénétrera immédiatement dans le ré-