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On a dit un moment que le fusil à aiguille prussien se tirait sans épauler, pour éviter le recul, dont la force est considérable. C’était une erreur. Il se tire comme tout autre fusil, en épaulant, à moins que le but ne soit très-éloigné, car alors l’inclinaison qu’il faut donner à l’arme, pour assurer l’exactitude de la trajectoire, oblige à baisser la crosse très-bas, et empêche de la placer contre l’épaule. Mais ce cas est rare, et l’on peut encore éviter cette position en tirant un genou à terre.

Beaucoup de personnes se demandent comment il se fait que la Prusse soit restée longtemps la seule nation qui possédât une arme d’un effet si sûr et si terrible. La raison principale qui avait empêché les autres États de suivre l’exemple de la Prusse, c’est qu’on n’avait pas une confiance complète dans les avantages du fusil à aiguille. On le considérait comme étant d’un mécanisme compliqué et sujet à dérangement. On assurait qu’après un long tir, les gaz s’échappaient par les joints de la culasse, au point d’incommoder sérieusement le soldat. Le prix de la fabrication était, disait-on, trop élevé, etc. L’expérience a répondu d’une manière victorieuse à ces diverses objections. Les inconvénients que l’on a longtemps reprochés à cette arme, quant à son maniement habituel, n’existent plus, ou ne sont plus sensibles dans les fusils du nouveau modèle. L’aiguille du fusil prussien se casse quelquefois il est vrai ; mais le soldat a toujours dans sa poche plusieurs aiguilles de rechange. Habitué à réparer lui-même ce petit accident, il remplace, en un tour de main, l’aiguille cassée.

Les fusils à aiguille ont été imités dans le Hanovre, dans la Hesse-Électorale et dans le duché de Brunswick. Le fusil à aiguille du Brunswick ressemble beaucoup au fusil prussien. Le fusil hessois en est aussi une imitation.

On a prétendu que plusieurs États allemands, après avoir essayé d’introduire le fusil à aiguille dans l’armement de leurs troupes, ont dû renoncer à continuer l’usage de cette arme, en raison de la prompte altération des pastilles fulminantes. Les cartouches fabriquées hors de la Prusse, étaient, disait-on, hors d’usage au bout de quelques semaines, tandis que les cartouches prussiennes se conservent indéfiniment. On a cru devoir attribuer cette supériorité à quelque secret de fabrication de la capsule fulminante, secret qui serait entre les mains des artificiers prussiens.

Nous ne croyons pas qu’il y ait ici le moindre secret. En effet, d’après la composition de la pastille fulminante du fusil prussien, nous ne voyons pas que les matières en contact soient susceptibles de s’altérer spontanément. M. de Ploennies, dans l’ouvrage allemand qui nous a servi de guide pour cette étude[1], nous apprend que la composition de la pastille fulminante du fusil prussien est la suivante : trois équivalents chimiques de chlorate de potasse, pour deux équivalents de sulfure d’antimoine ; c’est-à-dire, à peu près parties égales de l’un et de l’autre des deux corps (367,5 de chlorate de potasse et 333,6 de sulfure d’antimoine).

Ainsi le secret de la préparation de la capsule fulminante ne saurait être invoqué pour expliquer le privilège, resté longtemps aux Prussiens, de l’usage du fusil à aiguille. Introduire chez une nation une arme nouvelle, est toujours une grave et très-coûteuse mesure ; et l’on ne s’y résigne ordinairement qu’à la dernière extrémité. Voilà le seul obstacle qui se soit opposé à la généralisation du nouveau fusil, jusqu’aux événements de 1866. Dès qu’on le vit à l’œuvre sur le champ de bataille de Sadowa, on n’hésita plus, et partout on s’empressa de l’adopter, en s’efforçant de le rendre plus terrible encore.

Il est une particularité du fusil prussien,

  1. Le fusil à aiguille, notes et observations critiques sur l’arme à feu se chargeant par la culasse, traduit de l’allemand de Guillaume de Ploennies. Brochure in-8, Paris, 1866.