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ou dix heures d’exposition dans la chambre obscure, pour obtenir une image. Quant à la transformation des planches de métal recouvertes de bitume de Judée et impressionnées par la lumière, en planches de gravure, c’était chose impossible, avec les procédés par trop simples dont Niépce faisait usage. C’est ce que le graveur Lemaître reconnut bien vite, et ce que l’on a reconnu bien mieux encore, quand on a été amené, de nos jours, à reprendre les essais de gravure héliographique avec le bitume de Judée. Niépce, d’ailleurs, avait fini par renoncer à cette application à la gravure, car il n’en est pas fait mention dans sa Notice sur l’héliographie, que nous venons de rapporter, ni dans l’acte d’association avec Daguerre. Son objet principal c’était de produire, sur des planches d’étain ou de cuivre plaqué d’argent, des types uniques, dans lesquels les lumières de la nature étaient traduites par la résine oxydée et les noirs par le fond métallique. Comme ces fonds n’étaient jamais assez sombres, Niépce les noircissait avec le sulfure de potasse, qui formait un sulfure métallique noir. Il avait aussi songé à noircir ces mêmes fonds métalliques avec de l’iode. Mais cette substance était singulièrement choisie pour produire un tel résultat ; en effet, l’iodure d’argent, qui se forme par l’action des vapeurs d’iode sur l’argent, n’est pas noir, il est jaune-d’or ; et s’altérant rapidement à la lumière, il passe à des tons divers. Il ne donne d’ailleurs, à la surface du métal, qu’une poussière sans adhérence. Un dessin métallique ainsi renforcé, comme le voulait Niépce, n’aurait eu que la durée et la résistance les plus éphémères.

Ce qui constitue la photographie, c’est, comme nous le verrons bientôt, le développement, c’est-à-dire l’action des substances dites révélatrices, qui, appliquées sur la substance ayant reçu l’action de la lumière, font apparaître subitement une image, qui est formée dans les profondeurs de la couche sensible mais n’est nullement apparente avant l’emploi des agents révélateurs, et ne se manifesterait pas sans leur intervention.

C’est à Daguerre que revient la découverte des agents révélateurs ; c’est pour cela que nous le considérons comme le véritable inventeur de la photographie.

Après leur association, Niépce et Daguerre s’occupèrent, chacun de son côté, de perfectionner l’héliographie, qui en avait grand besoin, comme on vient de le voir. Daguerre s’adonna, avec l’ardeur qui lui était propre, à ces recherches nouvelles.

« Tout à coup, dit M. Charles Chevalier, Daguerre devint invisible ! Renfermé dans un laboratoire qu’il avait fait disposer dans les bâtiments du Diorama, où il résidait, il se mit à l’œuvre avec une ardeur nouvelle, étudia la chimie, et, pendant deux ans environ, vécut presque continuellement au milieu des livres, des matras, des cornues et des creusets. J’ai entrevu ce mystérieux laboratoire, mais il ne fut jamais permis ni à moi ni à d’autres d’y pénétrer. Madame veuve Daguerre, MM. Bouton, Sibon, Carpentier, etc., peuvent témoigner de l’exactitude de ces souvenirs[1]. »

La première découverte de Daguerre, ce fut l’impressionnabilité de l’iodure d’argent, par la lumière. On a vu que Niépce avait fait usage de l’iode, pour essayer de noircir le fond de ses plaques métalliques. Le hasard révéla à Daguerre la propriété dont jouit l’iodure d’argent, de se modifier avec une promptitude extraordinaire sous l’influence de l’agent lumineux. Un jour, comme il avait laissé par mégarde, une cuiller sur une plaque qu’il venait de traiter par l’iode, il trouva l’image de cette cuiller dessinée en noir sur le fond de la lame métallique recouverte d’iodure d’argent (fig. 11.) La cuiller, superposée à la plaque iodurée, avait garanti les parties sous-jacentes de l’action de la lumière, et ainsi s’était produite la silhouette de la cuiller sur la surface de la plaque.

Cette observation fut un trait de lumière. Daguerre, à partir de ce moment, substitua l’iodure d’argent au bitume de Judée, pour

  1. Guide du photographe (Souvenirs historiques, p. 23).