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santes bouches à feu, avec lesquelles il fit, en 1778, sa campagne de Silésie. Lorsque plus tard, surgirent les discussions au sujet du système de Gribeauval, les partisans des pièces lourdes et ceux des pièces légères, purent ainsi invoquer également en leur faveur, l’autorité du grand Frédéric.

Gribeauval fut, sous Louis XV, le régénérateur de l’artillerie française. Son œuvre fut immense ; son nom domine toute la fin du xviiie siècle. L’exposé de ses travaux clora dignement cette histoire de l’artillerie. Le système de Gribeauval est demeuré en vigueur non-seulement sous Louis XV, mais sous Louis XVI, pendant la Révolution, sous le premier Empire, sous la Restauration et Louis-Philippe, c’est-à-dire jusqu’à la réforme de l’artillerie par le canon rayé. Pendant ce long intervalle, ce système demeura intact, ou du moins les modifications qu’on y apporta, furent insignifiantes ; si bien qu’après les grandes guerres de l’Empire, tous les peuples le copièrent à l’envi, et il devint la règle universelle de l’artillerie européenne.

Né à Amiens, le 15 septembre 1715, l’année de la mort de Louis XIV, Jean-Baptiste Vauquette de Gribeauval était entré, en 1732, comme volontaire dans le régiment royal d’artillerie. Trois ans après, il fut nommé officier pointeur. Comme il s’était particulièrement occupé de l’art des mines, il fut nommé, en 1752, capitaine au corps des mineurs. Son mérite était déjà si bien reconnu, que le ministre de la guerre, d’Argenson, le chargea, en 1760, d’aller étudier en Prusse, l’artillerie légère du grand Frédéric. Gribeauval remplit avec zèle cette mission, et rapporta les renseignements les plus utiles sur l’emploi des pièces légères attachées aux régiments d’artillerie prussienne, sur les fortifications et l’état des frontières qu’il avait visitées.

L’impératrice d’Autriche, Marie-Thérèse, demanda à s’attacher le brave officier français, et Gribeauval, avec l’autorisation de ses chefs, passa à son service. Il occupa les plus grandes positions militaires, et fut employé par l’Autriche pendant la guerre de Sept ans, comme général de bataille, et directeur de l’artillerie et des mines. Gribeauval fut, pour le grand Frédéric, un adversaire redoutable, qui pendant longtemps tint ses armées en échec, et retarda ses victoires.

M. de Choiseul, alors ministre de la guerre en France, ayant demandé à Gribeauval des renseignements sur l’artillerie autrichienne, ce dernier lui en fit une description très-complète, qui nous est restée.

Le 3 mars 1762, il écrivait au duc de Choiseul, une lettre contenant ce passage :

« L’artillerie d’icy fait en bataille beaucoup d’effet par le grand nombre ; elle a des avantages sur celle de France, et cette dernière en a sur celle-cy. Un homme éclairé, sans passion, qui connoîtroit bien les détails et auroit le crédit suffisant pour aller directement au bien, prendroit dans ces deux artilleries de quoy en composer une qui décideroit presque toutes les actions dans la guerre de campagne. »

Marie-Thérèse avait comblé d’honneurs, le général français qui avait défendu l’Autriche contre Frédéric le Grand ; elle voulait l’attacher à sa personne, mais Gribeauval préféra rentrer en France. En 1765, il fut promu au grade de lieutenant-général, et en 1776, il fut nommé premier inspecteur de l’artillerie. Le moment était venu où Gribeauval allait se montrer l’homme supérieur qui devait réformer et recomposer l’artillerie française.

La tâche dont il assumait la responsabilité aurait découragé un homme d’un mérite moins éclatant. À cette époque, et après les désastres des guerres de Louis XV, l’état de l’artillerie française était déplorable.

La phrase suivante, extraite d’un mémoire adressé par lui au ministre de la guerre, montrera toutes les difficultés de l’entreprise que Gribeauval allait tenter. « La situation dans laquelle se trouve l’artillerie, écrivait-il, est effrayante ; il est certain qu’il faut avoir