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par leur chute, les toits des maisons, ou détruisaient les machines d’approche des assiégeants. Il n’y avait pas alors de bouches à feu intermédiaires, parce qu’aucune sorte de projectile n’aurait pu leur convenir.

La première grosse bombarde mentionnée dans l’histoire, est celle dont faisaient usage, en 1362, les défenseurs du château de Pietra Buona, assiégé par les Pisans. Elle pesait deux mille livres, et était, avec raison, considérée comme extraordinaire, en Italie même où l’artillerie était plus avancée que dans aucun autre pays. Muratori, dans sa Chronique de Pise, raconte que le maître canonnier s’en servait avec beaucoup d’adresse.

Rien n’indique qu’en France, on ait construit avant 1375 des bombardes jetant des boulets de pierre.

Les premières furent de grandeur médiocre. Toutefois, en cette même année 1375, une grande bombarde fut construite à Caen, pour le siége de Saint-Sauveur, par Bernard de Montferrat, Italien et maître des canons. Le 21 mars trois forges furent installées sous les halles de la ville, et entourées d’une clôture de planches. Cinq maîtres forgeurs, des plus habiles de la contrée, concoururent, avec leurs aides, à ce travail, qui dura quarante-deux jours. La pièce, une fois terminée, pesait 2 300 livres ; on avait fait entrer dans sa composition, 2 110 livres de fer et 200 livres d’acier. Le fer était de deux espèces : du fer d’Espagne plat, pour la culasse de la bombarde qui demandait une plus grande solidité, et pour la volée, du fer de la vallée d’Auge.

Les comptes laissés à ce sujet, donnent des détails intéressants, sur le mode de construction des grands canons de cette époque. On y trouve mentionnés : « le louage d’une bigorne, en quoy les cercles, lians et anneaux dudit canon ont été dressés et mis à point, et quatre poulies achetées et prises pour gouverner ledit canon, tout comme il a été lié des cercles et mis en bois, pour ce que l’on ne pouvait autrement gouverner. »

Ce passage prouve que cette bouche à feu était faite de barres soudées dans le sens longitudinal, et reliées par des anneaux de métal, puisqu’il y avait « cercles, lians et anneaux. » « Mis en bois » signifie que la pièce était posée sur un affût.

Une serrure de fer servait « à fermer un grand plataine de fer, lequel estoit sur le pertuis par où l’on met le feu audit canon, afin qu’il ne pleust en icelui quand il serait chargé. »

Quatre-vingt-dix livres de corde furent employées « pour lier le corps dudit canon tout autour et le couvrir de corde. » Pour empêcher la rouille et conserver les cordes, le canon fut entièrement enveloppé de bandes de cuir.

Un énorme affût enchâssait complétement la bombarde et empêchait son recul. Il était assez semblable à l’instrument nommé travail, dont on se sert aujourd’hui, dans certains pays, pour maintenir les bœufs pendant qu’on les ferre. Il se démontait pendant les transports, car les comptes mentionnent « deux grands paniers » servant à contenir les essieux et les chevilles nécessaires au « siége » du canon[1].

À cette époque, presque toutes les villes construisaient de grosses bouches à feu. Seulement leurs dimensions étaient moindres que celles des pièces dont il vient d’être parlé. Le mot bombarde ne semble plus dès lors s’appliquer aux canons de petit calibre ; on le réserve pour désigner les grosses bouches à feu qui lancent des boulets de pierre.

En 1377, le duc de Bourgogne, Philippe-le-Hardi, fit confectionner, à Châlons, une bombarde, qui devait être colossale, car elle lançait un boulet de pierre pesant quatre cent cinquante livres ! Un maître canonnier et neuf forgerons travaillèrent, quatre-vingt-huit jours, à la terminer.

À mesure que se perfectionnait l’art de

  1. Favé, Histoire des progrès de l’artillerie, t. III, p. 99.