Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.

décrite, et de la grandeur que tu voudras. Tu prendras de l’étoupe, à proportion de la grosseur de l’instrument, et tu en envelopperas la base des fers de lance en recouvrant toute la surface. Tu te procureras des morceaux de peau crue, n’importe l’espèce de peau, pourvu que ce ne soit pas une peau de menu bétail ; tu découperas cette peau en vue des drapeaux que tu veux faire, et tu la couvriras d’un enduit : suivant un auteur, l’enduit est inutile ; ensuite tu y attacheras de l’étoupe. Les morceaux de peau auront des boutonnières, à l’aide desquelles on les fixera au bâton de la canne, sur une étendue de quatre coudées ; ensuite tu arroseras le tout de naphte et tu verseras dessus du soufre, puis tu y mettras le feu, et tu déploieras cet appareil en présence des troupes. Tu feras diverses choses du même genre, selon les indications que j’ai données, s’il plaît à Dieu. »

« Manière de frapper l’ennemi avec des seringues. — Prends la partie creuse d’un roseau, que tu couperas empan par empan, disposes-y une garde que tu puisses empoigner.

« Quant au drapeau, à la lance et aux matières dont on les recouvre dans les amusements, tu prendras une longue baguette armée d’une pointe, et cette pointe sera accompagnée de crochets et de quatre… Ensuite tu prendras de l’étoupe, et tu la disposeras à cette surface ; tu arroseras la surface de naphte, et tu répandras dessus du soufre, puis tu y mettras le feu, et tu pousseras la lance en avant. Si tu frappes l’adversaire, tu le blesseras ou tu le brûleras ; si la pointe n’entre pas, tu atteindras du moins l’adversaire, tu le saisiras avec les crochets, tu l’attireras à toi et tu le feras prisonnier, s’il plaît à Dieu. »

« Autre recette de préparation du feu grégeois. — Tu prendras du naphte, la quantité que tu voudras, tu le distilleras, de manière qu’il n’y reste ni dépôt, ni bois, ni impureté, ni rien, en un mot, qui soit dans le cas de boucher le tube et son ouverture ; prends ensuite une marmite de première qualité, et creuse dans la terre un fourneau au-dessus duquel tu placeras la marmite ; tu enduiras la marmite d’argile, de manière qu’une étincelle ne puisse en atteindre le sommet et y mettre le feu ; dispose, sur le foyer, un bouclier qui intercepte la flamme. Tu verseras dans la marmite la quantité que tu voudras de naphte distillé ; tu couvriras la tête de la marmite avec une étoffe grossière. Prends ensuite du galbanum, qui n’est autre chose que de la poix liquide ; pour chaque cent cinquante-cinq rotls (livres) de naphte, tu emploieras huit livres et demie de galbanum, avec quinze livres d’huile de graines ; à défaut d’huile de graines, sers-toi de poix. Fais apporter un grand pot de fer dans lequel tu verseras peu à peu du galbanum et des graines, mets en dissolution le galbanum à l’aide des graines, de sorte qu’il ne reste plus que la partie grossière du galbanum ; s’il te reste un peu d’huile de graines, jette-la sur le galbanum en état de dissolution ; tu verseras le tout sur le naphte dans la marmite ; tu couvriras la marmite avec une étoffe grossière, tu allumeras un feu doux en faisant brûler des roseaux un à un, et d’après la quantité déterminée. Ne fais pas beaucoup bouillir le mélange, car tu le consumerais et le gâterais ; quand tu verras que la matière s’est amollie, éteins le feu et laisse refroidir ; décante ensuite la matière dans des vases, ou, si tu aimes mieux, dans des flacons, et fais-en usage dans le besoin. Quand tu voudras te servir de cette composition, tu prendras du soufre en poudre, que tu placeras sur la tête du vase, au-dessus du naphte ; tu le remueras, et tu atteindras ainsi ton ennemi, s’il plaît à Dieu[1]. »

Il serait inutile de citer d’autres formules. Les recettes pour la préparation des compositions incendiaires, chez les Grecs du Bas-Empire, se résument toujours, comme on le voit, dans un mélange de soufre et de diverses substances de nature grasse ou résineuse, dont les proportions varient de mille manières.

Quel était le mode d’emploi de ces compositions combustibles pour les usages de la guerre ? Le feu grégeois fut surtout employé chez les Grecs du Bas-Empire, dans la guerre de siéges et dans les combats maritimes. Pendant les siéges, on lançait le feu grégeois avec des balistes, des mangonneaux ou des arbalètes, contre les travaux de défense, les tours de bois, etc., que l’on voulait incendier.

La figure 131 représente l’une des machines à fronde qui servaient, au xiiie siècle, à jeter le feu grégeois contre les portes des villes assiégées. L’inspection de cette figure fait comprendre comment le tonneau plein de matière combustible enflammée, était lancé avec force, et à de grandes distances, au moyen d’une corde enroulée sur un cabestan, et que l’on détendait subitement. À la partie inférieure de ce vaste édifice de bois, on aperçoit des hommes manœuvrant un bélier, qui bat, à coups redoublés, les murs de la forteresse.

Le feu grégeois fut employé également et

  1. Journal asiatique, 1849, no 16.