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et latins qui ont laissé des ouvrages de pyrotechnie ont permis à MM. Reinaud et Favé de jeter un grand jour sur la nature des mélanges incendiaires employés en Orient, et sur l’origine de notre poudre à canon. Les mêmes notions ont été développées dans les premières pages d’un livre que nous aurons à invoquer bien des fois : Histoire des progrès de l’artillerie, par le colonel Favé[1]. Antérieurement, M. Ludovic Lalanne, dans un mémoire couronné par l’Académie des inscriptions et belles-lettres, avait su, par une heureuse combinaison de textes originaux, éclaircir l’histoire du feu grégeois, et fournir des renseignements pleins d’intérêt sur les effets de cette composition célèbre. Enfin, M. Lacabane, dans une dissertation sur l’Introduction en France de la poudre à canon, publiée en 1844 dans la Bibliothèque de l’École des chartes, a mis au jour d’utiles documents sur cette dernière question.

Ces travaux remarquables ont fait justice d’erreurs que les siècles avaient consacrées. Malheureusement, leur forme un peu aride avait empêché le public et les savants eux-mêmes, d’en bien apprécier toute l’importance, et nous serons heureux si le résumé que nous en donnerons offre assez de précision et de clarté pour dissiper les préjugés nombreux qui continuent de régner sur l’histoire des poudres de guerre.


CHAPITRE PREMIER

emploi des feux de guerre chez les orientaux. — leur introduction en europe au viie siècle. — composition du feu grégeois. — moyens employés par les grecs du bas-empire pour lancer le feu grégeois dans les combats maritimes.

La plupart des grandes inventions qui commencèrent, au moyen âge, l’affranchissement moral de l’humanité, sont originaires de l’Orient. Écloses sous le ciel de l’Asie, elles y demeurèrent pendant des siècles entiers, dans un état d’enfance ; mais une fois établies sur le sol de l’Europe, secondées dès lors par l’active imagination et le génie des Occidentaux, elles ne tardèrent pas à s’y perfectionner et à recevoir des applications étendues. Toutes ces créations nouvelles, qui devaient transformer les forces actives de la société, et changer ainsi la destinée des peuples, existaient en germe dans l’orient de l’Asie. La nature, si féconde sous le beau ciel de ces contrées, offrait spontanément à l’observation de l’homme, certains faits qui, pour ainsi dire, apportaient avec eux leurs conséquences visibles. L’esprit des Orientaux les saisit de bonne heure, mais il fut impuissant à rien ajouter à ces données élémentaires. Arrêtées dès leur naissance, ces premières notions sommeillèrent pendant dix siècles. Il fallait les facultés actives des nations européennes pour en retirer tout le parti que l’on devait en attendre. Telle est l’histoire de l’invention de l’imprimerie, de la découverte de la boussole, de la fabrication du papier ; telle est aussi l’histoire de ces mélanges incendiaires qui, en usage chez les Orientaux dès les temps les plus reculés, ne reçurent qu’en Europe les modifications et les perfectionnements divers qui devaient donner naissance à la poudre à canon des temps modernes.

Le naphte, l’huile de naphte et quelques autres combustibles de la même nature, sont, en Asie, des produits naturels fort abondants ; il est donc tout simple que les Orientaux aient eu de bonne heure la pensée de les employer comme moyens offensifs. Mélangés avec des substances grasses ou résineuses, avec du goudron, des huiles et autres corps combustibles, ils servaient à préparer diverses compositions inflammables, que les Chinois, les Indiens et les Mongols ont consacrées, depuis des temps reculés, aux usages de la

  1. Études sur le passé et l’avenir de l’artillerie, ouvrage continué à l’aide des notes de l’empereur par Favé, colonel d’artillerie, l’un de ses aides de camp. T. III, Histoire des progrès de l’artillerie, Paris, 1862, chez Dumaine. (Les deux premiers volumes de ce grand ouvrage sont tout entiers de la main de l’Empereur des Français.)