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qui s’en revenait tout joyeux de rapporter son portrait exécuté en Flandre, par M. Van Schaëndel. Ce portrait avait pour fond un rideau de velours bleu. Or, ce rideau bleu de ciel contrariait beaucoup le possesseur du portrait, qui aurait préféré, pour le fond de son tableau, un paysage des bords du Rhin. Il alla conter sa peine à Courbet, qu’il avait reconnu.

« Ce rideau me chagrine, lui dit-il ; je suis un peu poëte, je préférerais un ciel orageux. D’ailleurs j’ai peu de goût pour les rideaux, et j’en ai beaucoup pour le vin de Johannisberg. Nous passerons dans deux heures devant cet illustre coteau ; ne pourriez-vous le croquer au passage, pour en faire le fond de mon portrait ? »

Notre compatriote essaya en vain de résister ; il fut contraint d’attendre le coteau de Johannisberg, et d’en fixer, de son pinceau réaliste, les contours azurés sur l’arrière-plan de l’œuvre de Schaëndel. Mais voyez le résultat ! Ce beau travail accompli, le portrait se voila d’une teinte funèbre et s’évanouit, à demi effacé, dans les profondeurs du cadre. L’œil placé vers le fond avait perdu ses lueurs, en présence de la peinture violente de Courbet.

Le Prussien était consterné ; il fallut remettre l’œil en harmonie avec le fond. Mais, ainsi retouché, l’œil prit une saillie énorme ; il avait sur l’autre une avance de trois pieds, et chacun de s’écrier : « Le bel œil ! »

Effrayé de son œuvre, Courbet refusa de collaborer davantage avec le peintre flamand. Il débarqua à Manheim. Mais le Prussien, qui avait payé son portrait fort cher, ne pouvait se consoler de cet œil si mal accommodé. Il se précipita sur les traces du peintre français, le suivit à travers la ville, et l’entraînant dans un hôtel, le força de terminer l’arrangement du tableau. Le pauvre Courbet ne put y parvenir qu’en recouvrant la toile entière, sans y laisser subsister le plus léger accessoire. L’ouvrage terminé ;

« Voilà qui est parfait ! dit le Prussien ; ces petites retouches étaient bien nécessaires. »

Puis contemplant avec complaisance l’œuvre remaniée :

« Ah ! reprit-il en soupirant, si l’illustre Van Schaëndel pouvait revoir son chef-d’œuvre !

— Hélas ! dit Courbet en s’esquivant, il ne le reconnaîtrait guère ! »

Ces moyens malencontreux qui avaient défiguré l’œuvre de Van Schaëndel, nous les voyons mis en pratique par les photographes qui tapissent nos boulevards et nos rues d’images maculées par un absurde pinceau. Sous l’annonce de portraits, certains photographes présentent quelquefois des produits étranges, métis barbares croisés de la photographie et de l’aquarelle, dessins créés par le soleil, refaits par le fusain, silhouettes commencées par l’instrument de Daguerre, terminées par un pointillé au crayon de couleur, et qui, par la roideur et l’affectation de la pose, par le contraste heurté et la fausseté des tons, ne ressemblent à rien, sinon à l’aquarelle peignée d’une jeune demoiselle.

Cependant, si l’on doit refuser aux produits photographiques le caractère d’une œuvre d’art proprement dite, ce n’est pas à dire pour cela qu’ils soient inutiles aux progrès des beaux-arts. Ce serait aller contre l’évidence et être démenti par la pratique de tous les jours, que de refuser à la photographie toute espèce de rôle dans les arts. Quelle est donc son utilité propre ? C’est de servir de document à consulter pour les travaux des dessinateurs et des peintres.

Le peintre trouve chaque jour, des enseignements utiles en consultant la photographie, qui tantôt, procédant par masses à la façon d’un grand artiste, sacrifie, avec une merveilleuse intelligence, les détails secondaires au résultat final ; tantôt, s’appliquant à la reproduction minutieuse, rappelle, par son