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« Je comptais faire hier l’expérience dont je t’ai parlé ; mais j’ai cassé mon objectif dont le foyer était le mieux assorti aux dimensions de l’appareil. J’en ai bien un autre, mais qui n’a pas le même foyer ; ce qui nécessitera quelques petits changements dont je vais m’occuper. Ce retard ne sera pas long, et bien sûrement j’aurai le plaisir de te mander dans une prochaine lettre le résultat que j’aurai obtenu. Je souhaite, sans trop l’espérer, qu’il justifie l’intérêt que tu veux bien me témoigner à ce sujet. »

Il écrivait ensuite le 5 mai 1816 :

« Tu as vu par ma dernière lettre que j’avais cassé l’objectif de ma chambre obscure, mais qu’il m’en restait un autre dont j’espérais tirer parti. Mon attente a été trompée : ce verre avait le foyer plus court que le diamètre de la boîte ; ainsi je n’ai pu m’en servir. Nous sommes allés à la ville lundi dernier ; je n’ai pu trouver chez Scotti qu’une lentille d’un foyer plus long que la première ; et il m’a fallu faire allonger le tuyau qui la porte, et au moyen duquel on détermine la vraie distance du foyer. Nous sommes revenus ici mercredi soir ; mais depuis ce jour-là, le temps a toujours été couvert ; ce qui ne m’a pas permis de donner suite à mes expériences. Et j’en suis d’autant plus fâché qu’elles m’intéressent beaucoup. Il faut se déplacer de temps en temps, faire des visites ou en recevoir : c’est fatigant. Je préférerais, je te l’avoue, être dans un désert.

« Lorsque mon objectif fut cassé, ne pouvant plus me servir de ma chambre obscure, je fis un œil artificiel avec le baguier d’Isidore, qui est une petite boîte de seize à dix-huit lignes en carré. J’avais heureusement les lentilles du microscope solaire qui, comme tu le sais, vient de notre grand-père Barrault. Une de ces petites lentilles se trouva précisément du foyer convenable ; et l’image des objets se peignait d’une manière très-nette et très-vive sur un champ de treize lignes de diamètre.

« Je plaçai l’appareil dans la chambre où je travaille, en face de la volière, et les croisées ouvertes. Je fis l’expérience d’après le procédé que tu connais, mon cher ami, et je vis sur le papier blanc toute la partie de la volière qui pouvait être aperçue de la fenêtre et une légère image des croisées qui se trouvaient moins éclairées que les objets extérieurs. On distinguait les effets de la lumière dans la représentation de la volière et jusqu’au châssis de la fenêtre. Ceci n’est qu’un essai encore bien imparfait ; mais l’image des objets était extrêmement petite. La possibilité de peindre de cette manière me paraît à peu près démontrée ; et si je parviens à perfectionner mon procédé, je m’empresserai, en t’en faisant part, de répondre au tendre intérêt que tu veux bien me témoigner. Je ne me dissimule point qu’il y a de grandes difficultés, surtout pour fixer les couleurs ; mais avec du travail et beaucoup de patience on peut faire bien des choses. Ce que tu avais prévu est arrivé. Le fond du tableau est noir, et les objets sont blancs, c’est-à-dire plus clairs que le fond.

« Je crois que cette manière de peindre n’est pas inusitée, et j’ai vu des gravures de ce genre. Au reste, il ne serait peut-être pas impossible de changer cette disposition des couleurs ; j’ai même là-dessus quelques données que je suis curieux de vérifier[1]… »

Nous ne pouvons savoir quelle était la substance impressionnable sur laquelle Niépce recevait l’image de la chambre obscure ; mais il est certain qu’il obtenait déjà par la lumière, de véritables impressions à effet lumineux inverse, c’est-à-dire des plaques sur lesquelles les tons blancs de la nature étaient représentés par des noirs, et les ombres accusées au contraire par des clairs. C’est ce qui ressort de la lettre suivante adressée par Nicéphore Niépce à son frère, le 19 mai 1816 :

« Je m’empresse de répondre à ta lettre du 14, que nous avons reçue avant-hier, et qui nous a fait un bien grand plaisir. Je t’écris sur une simple demi-feuille, parce que la messe ce matin, et ce soir une visite à rendre à madame de Mortenil ne me laisseront guère de temps, et, en second lieu, pour ne pas trop augmenter le port de ma lettre, à laquelle je joins deux gravures faites d’après le procédé que tu connais. La plus grande provient du baguier, et l’autre de la boîte dont je t’ai parlé, qui tient le milieu entre le baguier et la grande boîte. Pour mieux juger de l’effet, il faut se placer un peu dans l’ombre ; il faut placer la gravure sur un corps opaque et se mettre contre le jour. Cette espèce de gravure s’altérerait, je crois, à la longue, quoique garantie du contact de la lumière, par la réaction de l’acide nitrique, qui n’est pas neutralisé. Je crains aussi qu’elle ne soit endommagée par les secousses de la voiture. Ceci n’est encore qu’un essai ; mais si les effets étaient un peu mieux sentis (ce que j’espère obtenir), et surtout si l’ordre des teintes était interverti, je crois que l’illusion serait complète. Ces deux gravures ont été faites dans la chambre où je travaille, et le champ n’a de grandeur que la largeur de la croisée. J’ai lu, dans l’abbé Nollet, que, pour pouvoir représenter un plus grand nombre d’objets éloignés, il faut des lentilles d’un plus grand foyer, et mettre un verre de plus au tuyau qui porte l’objectif. Si tu veux conserver ces deux rétines, quoiqu’elles n’en valent guère la peine, tu n’as qu’à les laisser dans le papier gris, et placer le tout dans un livre.

  1. V. Fouque, la Vérité sur l’invention de la photographie ; Nicéphore Niépce, sa vie, ses essais, ses travaux. In-8, Paris, 1867, p. 62-65.