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D’après Switzer, cette machine pouvait élever par minute, 52 gallons d’eau, c’est-à-dire quatre fois le contenu du récipient S, à la hauteur de cinquante-cinq pieds (17m,264).

La machine de Savery présentait un défaut capital. Le récipient devait satisfaire à deux conditions incompatibles. Les parois de ce vase auraient dû être à la fois, très-épaisses pour supporter à l’intérieur, la pression considérable exercée par la vapeur d’eau, et très-minces, pour se refroidir rapidement. En outre, cette machine n’élevait l’eau qu’à la condition de l’échauffer en partie, car la vapeur, arrivant à l’intérieur du récipient S, s’y condensait en grande quantité ; de telle manière que lorsque l’eau montait dans le tube, elle avait déjà acquis une température assez élevée, par suite de la chaleur abandonnée par la vapeur revenue à l’état liquide. Cet appareil reposait donc sur un principe vicieux.

Il y aurait cependant une profonde injustice à contester à Thomas Savery l’honneur qui lui revient pour avoir imaginé et construit la première machine à vapeur qui ait fonctionné en Europe. Si la postérité doit une haute reconnaissance au savant qui découvre de grandes vérités théoriques, elle doit le même tribut d’hommages à celui qui, transportant ces mêmes idées dans la pratique, leur fait porter leurs premiers fruits.

Lorsque Savery eut terminé la construction de sa machine, il se hâta de la présenter aux propriétaires des mines. Mais elle arrivait dans un mauvais moment. Depuis plusieurs années, les propriétaires des mines de houille étaient assiégés par les faiseurs de projets, qui les avaient entraînés, sans résultats, dans toute sorte d’essais dispendieux. Les échecs nombreux que l’on avait éprouvés en expérimentant des machines imparfaites, ou de prétendus perfectionnements d’anciens mécanismes, devaient naturellement jeter de la défaveur sur toute conception nouvelle. La machine de Savery porta la peine de toutes les tentatives infructueuses exécutées jusque-là. Comme elle arrivait à la suite d’une foule de projets qui avaient trompé l’attente générale, on ne prêta aucune attention aux promesses de son inventeur. Savery essaya inutilement de lutter contre ces fâcheuses préventions ; les propriétaires des mines persistèrent à rejeter sa machine, qui ne servit guère que pour élever l’eau dans l’intérieur de palais ou quelques maisons de plaisance.

Savery n’assignait d’autres limites à la puissance de sa pompe à feu que l’impossibilité où l’on était de fabriquer des récipients et des tubes assez forts pour résister à la pression de la vapeur.

« Je ferai monter, disait-il, de l’eau à cinq cents ou mille pieds (152m,39 ou 304m,79) de hauteur, si vous pouvez m’indiquer le moyen d’avoir des vaisseaux d’une matière assez solide pour résister à un poids aussi énorme que celui d’une colonne d’eau de cette hauteur ; mais, du moins, ma machine élève aisément un plein tuyau d’eau à 60, 70 et 80 pieds[1]. »

Comme la plupart des inventeurs, Savery s’exagérait ici la puissance de son appareil. Il oubliait le danger de l’explosion. La pensée ne lui était pas venue d’appliquer à sa chaudière la soupape que Papin avait imaginée. Aussi ne pouvait-on élever l’eau avec sécurité au delà de quarante pieds (12m,992). Si l’on dépassait cette limite, on courait le risque de voir la chaudière éclater. Lorsque Savery établit une de ses pompes pour élever l’eau dans les bâtiments d’York, il produisait de la vapeur dont la pression atteignait huit ou dix atmosphères, et alors, selon Désaguliers, « la chaleur était si grande qu’elle fondait la soudure, et sa force telle qu’elle ouvrait la machine dans différentes jointures ».

Les dangers que l’on redoutait, par suite du défaut de résistance des chaudières, furent la considération la plus grave qui s’opposa à l’emploi de la pompe à feu de Savery, pour l’épuisement de l’eau dans les mines.

  1. The miner’s Friend.