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Il est très-surprenant que ces mentions si expresses aient été complétement oubliées seize ans plus tard, quand Œrsted publia sa découverte ; car elles contiennent cette découverte, non pas seulement en germe, mais tout entière.

Nous dirons pourtant que, lorsqu’on examine de plus près les titres de Romagnosi à la découverte de l’électro-magnétisme, et quand on consulte le texte dont il s’agit, ces titres paraissent beaucoup moins solidement établis qu’on ne l’a déclaré. Voici, en effet, le document original sur lequel s’appuient les réclamations des compatriotes de Romagnosi. C’est un article qui parut le 3 août 1802, dans un journal politique de Trente, le Ristretto dei Foglietti universali. Il a été reproduit récemment par l’abbé Zantedeschi, à l’occasion de l’inauguration d’un monument qu’on avait élevé à Romagnosi, à Plaisance, sa ville natale[1]. On va voir que ce document ne justifie pas les prétentions de ceux qui ont essayé de revendiquer pour le célèbre Plaisantin, une des plus grandes découvertes de notre siècle.

« M. le conseiller Gian-Domenico Romagnosi, est-il dit dans ce fait divers du journal italien, demeurant ici et connu de la république des lettres par d’autres profondes productions, s’empresse de faire connaître aux physiciens de l’Europe, une expérience relative au fluide galvanique, appliqué au magnétisme. Ayant préparé la pile de M. Volta avec des disques de cuivre et de zinc, séparés par des rondelles imprégnées d’une solution ammoniacale, l’auteur fixe à cette pile un fil d’argent, brisé en plusieurs points comme une chaîne. La dernière articulation de cette chaîne passait par un tube de verre, et se terminait à un bouton d’argent qui sortait du tube. Ensuite, il prit une aiguille aimantée ordinaire, disposée à la manière d’une boussole marine, et fixée dans une chape prismatique de bois ; puis, ayant enlevé le couvercle de verre, il plaça l’aiguille sur un isolateur en verre, à peu de distance de la pile. Ceci fait, il saisit la chaîne par le tube de verre, et en appliqua le bouton terminal à l’aiguille aimantée. Après un contact de quelques secondes, l’aiguille se détourna de plusieurs degrés de sa position polaire. La chaîne ayant été soulevée, l’aiguille conserva cette déviation. Quand on appliqua la chaîne de nouveau, l’aiguille s’écarta encore un peu, et garda ensuite sa nouvelle position, comme si sa polarité avait été détruite. Voici comment M. Romagnosi a rétabli cette polarité. Il a pressé des deux mains, entre le pouce et l’index, les bords de la boîte en bois isolée, et il a vu, au bout de quelques instants, l’aiguille revenir lentement à sa position polaire, non pas tout d’un coup, mais par pulsations, comme une aiguille des secondes. Cette expérience a été faite au mois de mai, elle a été répétée en présence de plusieurs personnes. »

Il est question ensuite, dans le même article, d’une autre expérience de Romagnosi, qui aurait obtenu des phénomènes d’attraction électrique, en approchant la rondelle d’argent d’un fil de chanvre mouillé d’eau ammoniacale, et suspendu à un bâton de verre.

Toutes ces expériences devaient être exposées dans un mémoire que Romagnosi se proposait de publier sur l’électricité et le galvanisme, mais qui ne vit point le jour. Elles sont, il faut en convenir, incompréhensibles ; car rien ne fait supposer, qu’il s’agisse ici d’un circuit voltaïque fermé. L’auteur met le conducteur même de la pile en contact avec l’aiguille aimantée, ce qui ne revient nullement à fermer le courant, et ne peut produire le phénomène électro-magnétique qu’il était réservé à Œrsted de réaliser le premier. L’abbé Zantedeschi s’efforce de démontrer que Romagnosi devait avoir touché la pile de manière à établir une communication entre les deux pôles ; mais cette interprétation tardive est en contradiction avec le texte.

En fin de compte, la prétendue découverte de Romagnosi n’exerça aucune espèce d’influence sur le progrès de la science électrique ; tandis que celle d’Œrsted, qui n’apparut que dix-huit ans plus tard, révolutionna le monde scientifique.

Il n’est pas rare de rencontrer, dans l’histoire des sciences, des faits de tout point analogues à celui qui vient de nous occuper. Les grandes découvertes sont quelque temps, pour ainsi dire, dans l’air, avant qu’un

  1. Corrispondenza scientifica in Roma, n. 42, 9 avril 1859.