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prit de suite. Il procédait par sauts et comme par boutades. Il découvrait des faits épars d’une haute importance, et ne savait pas trouver le lien propre à les rattacher en faisceau. Il établissait de grands principes, et se montrait inhabile à en déduire les conséquences même les plus rapprochées. C’est dans les premiers temps de sa vie scientifique, en s’occupant de l’insignifiant objet de la cuisson des viandes, qu’il invente la soupape de sûreté, et ce n’est qu’à la fin de sa carrière qu’il songe à l’appliquer à une machine dont les dispositions sont défectueuses. Pendant la construction d’un autre appareil imparfait, le moteur à double pompe pneumatique, il invente le robinet à quatre ouvertures, organe dont Leupold et James Watt ont tiré un si grand parti dans les machines à vapeur. Enfin, il découvre le principe fondamental de l’emploi de la vapeur pour faire le vide et soulever un piston ; et bientôt, détourné par la critique, il perd de vue sa découverte, et meurt sans soupçonner l’importance extraordinaire qu’elle doit acquérir un jour. Il y a là un vice d’esprit que l’on essayerait en vain de dissimuler.

Hâtons-nous de le dire, les circonstances de la vie de Papin expliquent ce défaut. Si son existence se fût écoulée calme et honorée dans sa patrie ; s’il eût vécu entouré d’aides intelligents, de constructeurs et d’ouvriers ; s’il eût goûté quelque temps les loisirs et la liberté d’esprit qui sont nécessaires à l’exécution des longs travaux scientifiques, on n’aurait pas à défendre sa mémoire contre de tels reproches. La postérité, qui ne connaît qu’un coin de son génie, aurait alors possédé Papin tout entier. Mais éloigné dès sa jeunesse du ciel de sa patrie ; obligé de promener à travers l’Europe le poids de ses ennuis et de sa pauvreté ; contraint de frapper, de son bâton de voyage, à la porte des Académies étrangères, le malheureux philosophe pouvait-il nous léguer autre chose que les ébauches de son génie ?

Si imparfaites qu’elles soient, elles suffisent à faire comprendre ce que l’on pouvait attendre de lui dans des conditions plus favorables. Pendant qu’il végétait oublié en Allemagne, un simple serrurier du Devonshire, dépourvu de toutes connaissances scientifiques, exécutait la première machine à vapeur atmosphérique, en se bornant à rapprocher les découvertes éparses du mécanicien français. Papin n’eût-il pu suffire à la tâche accomplie par le serrurier Newcomen ? Si donc la machine à vapeur n’est pas une invention exclusivement française, il ne faut l’attribuer qu’aux tristes circonstances qui, pendant quarante ans, fermèrent à Papin l’accès de sa patrie. Il y avait dans toutes les grandes villes de la France, et surtout dans celles des bords de la Loire, une nombreuse population de huguenots industrieux, qui possédaient des capitaux immenses et concentraient dans leurs mains l’exploitation des principaux arts mécaniques. Ces hommes, qui devaient transporter l’industrie française au delà du Rhin et en Amérique, étaient tous ses amis. Nul doute qu’ils ne lui eussent offert les ressources nécessaires pour perfectionner sa découverte, et qu’il n’eût trouvé dans le concours de ses compatriotes le moyen de doter son pays de l’honneur entier de cette invention impérissable. Ainsi la révocation de l’édit de Nantes ne fut pas seulement une offense aux lois éternelles de la morale et de la justice ; elle n’eut pas uniquement pour effet l’exil d’un demi-million d’hommes et le transport à l’étranger d’une grande partie de l’industrie nationale ; elle devait encore priver la France de l’invention de la vapeur, c’est-à-dire de la découverte qui a le plus activement contribué aux progrès de la civilisation moderne.



CHAPITRE VI

machine de savery. — newcomen et cawley. — machine à vapeur atmosphérique de newcomen.

Papin vivait en Allemagne lorsqu’il publia la description de sa machine à vapeur at-