Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/641

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

S’il faut en croire Robertson, les physiciens de Paris étaient demeurés jusqu’à ce moment, assez étrangers à la connaissance des phénomènes du galvanisme. C’est ce que semblerait prouver la singulière réception qui avait été faite à Volta, par le physicien Charles, et que Robertson raconte d’une manière assez piquante :

« Un jour, dit Robertson, c’était le 9 vendémiaire an IX, pendant mes expériences publiques sur le galvanisme, j’exprimais mes doutes à cet égard, et j’énumérais les différences que j’apercevais encore entre le fluide électrique et le fluide galvanique, lorsqu’un de mes auditeurs se leva et me dit que M. de Volta, ici présent, aurait beaucoup de plaisir à dissiper les doutes qui me restaient. L’interlocuteur était le docteur Brugnatelli ; il avait accompagné le célèbre Volta dans un voyage qu’ils avaient obtenu du gouvernement cisalpin la permission de faire à Paris, pour conférer avec les savants de France sur divers objets scientifiques, et principalement sur les découvertes de la pile galvanique. J’acceptai avec empressement l’offre honorable de M. de Volta.

« Le lendemain matin, il se présenta de bonne heure chez moi, portant dans sa poche de petits appareils galvaniques et une grenouille vivante. Nous passâmes la matinée entière à faire des expériences dont aucune ne réussit. Volta accusait l’humidité de l’air de ces mauvais résultats ; pour moi, je les imputai, avec plus de raison, à l’imperfection de ses conducteurs métalliques. Mais il m’exposa sa théorie d’une manière si lumineuse, développa ses aperçus, ses observations et leurs conséquences avec tant de clarté, que ma conviction n’attendit pas des expériences plus favorables, et je devins un partisan d’autant plus sincère de son système que lui ayant été plus opposé d’abord, j’avais cédé à la seule démonstration de la vérité ; je contribuai même, par quelques résultats nouveaux, à la rendre encore plus palpable.

« M. de Volta ne s’en tint pas à cette première visite, et des liaisons de bienveillance de sa part, que je puis même dire réciproquement amicales, s’établirent entre nous. Mon cabinet lui offrit d’utiles ressources sous le rapport des appareils.

« M. de Volta me pria de lui servir de guide à Paris, et je m’empressai de le conduire dans les établissements où la découverte du galvanisme devait avoir pénétré, à l’École de médecine, à l’École polytechnique, dans le cabinet de M. Charles. Mais quel fut son étonnement de voir que je fusse le seul dans Paris à m’occuper de cette belle découverte ! L’Institut même paraissait n’avoir fait ou encouragé aucun essai sur ce sujet. M. Charles nous fit une réception très-singulière ; il ne s’attendait nullement à notre visite. Je lui nommai et lui présentai M. de Volta, qui était jaloux de s’entretenir de ses travaux avec un physicien aussi distingué. M. Charles laissa paraître aussitôt beaucoup d’embarras et même de la confusion : il était, nous dit-il, on ne peut plus désolé d’être pressé de sortir et de ne pouvoir profiter d’une occasion aussi avantageuse ; mais on l’attendait et il se trouvait en retard. Il ajouta d’ailleurs que nous étions maîtres absolus dans son cabinet, et qu’il en mettait tous les objets à notre disposition. Après ce peu de mots, auxquels il semblait ne pas demander de réponse, il nous salua et sortit. Restés seuls dans ce cabinet, nous nous regardâmes l’un l’autre avec des yeux ébahis. « Que ferons-nous ici ? me dit Volta. Voici un très-beau cabinet, mais le but de notre démarche n’était point d’admirer des instruments de physique. Il n’y a point dans cette atmosphère, continua-t-il en riant, d’odeur de galvanisme. »

« Il devinait juste. M. Charles ne l’avait pas plus étudié alors que les autres physiciens de France. Ce qui confirma nos conjectures, c’est qu’étant montés en fiacre, nous aperçûmes, en nous retournant, M. Charles qui épiait notre départ d’une boutique de librairie de la rue du Coq, et reprit le chemin de son cabinet dès que notre voiture se fut un peu éloignée[1]. »

La commission qui avait été désignée par l’Académie des sciences, pour reproduire les expériences de Volta et statuer sur le projet d’une médaille d’or à décerner à l’inventeur de la pile, était composée de Laplace, Coulomb, Hallé, Monge, Fourcroy, Vauquelin, Pelletan, Charles, Brisson, Sabatier, Guyton et Biot. Après avoir répété les principales expériences de Volta, la commission choisit pour son rapporteur Biot, qui s’acquitta de ce devoir dans la séance du 11 frimaire an IX (décembre 1800), dans un rapport qui reproduisait tous les traits du mémoire de Volta, avec une concision et une clarté parfaites.

Si nous ne sommes entré dans aucun détail sur le mémoire lu à l’Institut par Volta, nous ne saurions passer sous silence le rapport de Biot, document important à conserver, parce que l’on y trouve pour la première fois, exactement définie, la théorie de la force électro-motrice[2].

  1. Mémoires de Robertson, t. Ier, p. 250-253.
  2. Rapport du citoyen Biot sur les expériences de Volta,