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avait fournis, perdait ainsi de vue la grande conception qui perpétuera le souvenir de son génie.

On avait pensé jusqu’à ces derniers temps, que les idées de Papin sur cette seconde machine à vapeur, n’étaient jamais sorties du domaine de la théorie. Mais une correspondance de Papin avec Leibnitz, retrouvée en 1852, par M. Kuhlmann, professeur à l’Université de Hanovre, a jeté un jour tout nouveau sur cette question. Il résulte de ces lettres, qu’après avoir fait construire le modèle de la machine précédente, Papin la fit exécuter en grand, pour l’appliquer à un bateau, qui fut essayé par l’inventeur sur la Fulda. Mais des dissentiments ayant éclaté sur ces entrefaites entre lui et quelques personnages puissants de Marbourg, Papin prit la résolution de quitter l’Allemagne, et de faire transporter son bateau en Angleterre pour y continuer ses expériences.

C’est ce que démontre suffisamment la curieuse et importante lettre de Papin à Leibnitz que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs.


Cassel, ce 7 juillet 1707.
« Monsieur,

« Vous savez qu’il y a longtemps que je me plains d’avoir ici beaucoup d’ennemis trop puissants. Je prenais pourtant patience ; mais depuis peu j’ai éprouvé leur animosité de telle manière qu’il y aurait eu trop de témérité à moi à oser vouloir demeurer plus longtemps exposé à de tels dangers. Je suis persuadé pourtant que j’aurais obtenu justice, si j’avais voulu faire un procès ; mais je n’ai déjà fait perdre que trop de temps à Son Altesse pour mes petites affaires, et il vaut bien mieux céder et quitter la place que d’être trop souvent obligé d’importuner un si grand prince. Je lui ai donc présenté une requête pour le supplier très-humblement de m’accorder la permission de me retirer en Angleterre, et Son Altesse y a consenti avec des circonstances qui font voir qu’elle a encore, comme elle a toujours eu, beaucoup plus de bonté pour moi que je ne mérite.

« Une des raisons que j’ai alléguées dans ma requête, c’est qu’il est important que ma nouvelle construction de bateau soit mise à l’épreuve dans un port de mer, comme Londres, où on pourra lui donner assez de profondeur pour y appliquer la nouvelle invention qui, par le moyen du feu, rendra un ou deux hommes capables de faire plus d’effet que plusieurs centaines de rameurs. En effet, mon dessein est de faire le voyage dans ce même bateau, dont j’ai déjà eu l’honneur de vous parler autrefois, et l’on verra d’abord que sur ce modèle il sera facile d’en faire d’autres où la machine à feu s’appliquera fort commodément. Mais il se trouve une difficulté, c’est que ce ne sont point les bateaux de Cassel qui vont à Brême, et quand les marchandises de Cassel sont arrivées à Münden, il faut les décharger pour les transporter dans les bateaux qui descendent à Brême. J’en ai été assuré par un batelier de Münden, qui m’a dit qu’il faut une permission expresse pour faire passer un bateau de la Fulda dans le Wéser. Cela m’a fait résoudre, Monsieur, de prendre la liberté d’avoir recours à vous pour cela. Comme ceci est une affaire particulière et sans conséquence pour le négoce, je suis persuadé que vous aurez la bonté de me procurer ce qu’il faut pour faire passer mon bateau à Münden, vu surtout que vous m’avez déjà fait connaître combien vous espériez de la machine à feu pour les voitures par eau. On m’a aussi averti qu’à Hamel, il y a un courant extrêmement rapide, et qu’il s’y perd des bateaux. Cela me ferait souhaiter de savoir à peu près à combien de degrés ce canal est incliné sur l’horizon. Ainsi, Monsieur, si vous avez eu la curiosité de faire cette observation, je vous supplie d’avoir aussi la bonté de me dire ce qu’il en est. En tout cas, il vaudra toujours mieux prendre trop que pas assez de précautions pour garantir mon bateau de tout accident. Si j’étais assez heureux pour que vos affaires vous appelassent dans l’une ou l’autre des deux villes dans le temps que j’y passerai, je m’y ferais une extrême satisfaction d’y entendre et d’y profiter de vos bons avis en voyant notre bateau, et de vous supplier de bouche de me continuer la même bienveillance dont vous m’honorez depuis si longtemps, et de me permettre toujours de me dire avec respect, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

« D. Papin. »

Dès la réception de cette lettre, Leibnitz écrivit au conseiller intime de l’électeur de Hanovre, pour obtenir l’autorisation de faire passer le bateau de Papin des eaux de la Fulda dans celles du Wéser. Mais cette autorisation fut refusée, ou du moins elle se fit attendre ; car, dans une seconde lettre, datée du 1er août 1707, Papin se plaint des retards qu’éprouve sa demande.

Pour mettre le temps à profit, il continua les essais de son bateau. La lettre suivante, adressée à Leibnitz et datée du 15 septembre, montre que les résultats qu’il obtenait étaient de nature à l’encourager.

« L’expérience de mon bateau a été faite, et elle a réussi de la manière que je l’espérais ; la force du