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Dans les nombreux essais auxquels il avait soumis pendant plusieurs mois, l’appareil qui devait être bientôt une mine inépuisable de découvertes, le physicien de Côme n’avait reconnu, on peut le dire, que ce qui pouvait frapper les yeux d’un expérimentateur vulgaire. Pour lui, la pile électrique n’est qu’un instrument propre à exciter des commotions dans nos organes, c’est une bouteille de Leyde qui jouit de la propriété de se recharger d’elle-même après chaque émission de fluide.

On a beau tourner et retourner l’important mémoire dont nous venons de citer le texte, on n’y trouve mentionnés que les résultats produits sur les corps vivants par ce nouvel appareil, que l’inventeur voudrait appeler, par cette considération, organe électrique artificiel. Aussi éprouve-t-on, en parcourant ce document, trop peu connu, un singulier mécompte. Ce qui étonne, en effet, ce ne sont pas les observations qu’on y trouve, mais bien celles qu’on n’y rencontre pas, et que Volta aurait dû, à ce qu’il semble, faire nécessairement en maniant cet appareil pour la première fois.

Égaré par sa pensée dominante du développement de l’électricité par le simple contact, Volta rapporte à cette cause les effets de son appareil. Il repousse formellement toute intervention de l’action chimique, qui constituait pourtant la véritable source de ses effets :

« L’action qui met le fluide électrique en mouvement, écrit-il, ne s’exerce pas, comme on l’a cru faussement, au contact de la substance humide avec le métal, ou bien il ne s’en exerce là qu’une très-petite qu’on peut négliger, en comparaison de celle qui s’exerce au contact entre des métaux différents. Par conséquent, le véritable élément de mes appareils à pile est le simple couple métallique formé de deux métaux différents, et non pas une substance humide appliquée à une substance métallique ou comprise entre deux métaux différents. Les couches humides dans les appareils composés[1] ne sont donc là que pour faire communiquer l’un à l’autre tous les couples métalliques rangés de manière à pousser le fluide électrique dans une direction, de façon qu’il n’y ait pas d’action en sens contraire. »

Volta, décrivant les effets de la pile, reconnaît qu’ils prennent plus d’intensité en substituant à l’eau pure des liquides acides ou salins ; mais il attribue ce fait à ce que ces liquides sont de meilleurs conducteurs que l’eau.

« On peut déjà obtenir des commotions, écrit-il, avec un appareil de trente et même de vingt couples, pourvu que les métaux soient suffisamment nets et propres, et surtout que les couches humides interposées ne soient pas de l’eau simple et pure, mais une solution saline assez chargée. Ce n’est pourtant pas que ces humeurs salines augmentent proprement la force électrique ; elles facilitent seulement le passage et laissent un plus libre cours au fluide électrique, étant beaucoup meilleurs conducteurs que l’eau simple, comme plusieurs expériences le démontrent. »

Ainsi, le principe erroné qui avait conduit Volta à la découverte de la pile, c’est-à-dire le développement de l’électricité par le contact, survivait, dans l’esprit de l’inventeur, à l’expérience même de cet appareil. Dans le jeu de la pile, il prétendait encore trouver la démonstration de la vérité de ce principe, qui revient pourtant, comme nous le verrons plus tard, à admettre l’existence du mouvement perpétuel.

On se demande aujourd’hui avec surprise comment Volta, pendant les diverses expériences qu’il avait faites avec son appareil, et dont il expose les résultats dans sa Lettre à Joseph Banks, n’avait observé aucun des faits nombreux qui renversaient sa théorie.

Volta n’a pas remarqué (il n’en parle pas du moins) la diminution rapide qui survient dans l’intensité des effets de la pile, après les premières minutes d’une action énergique. Ce décroissement, qui est une suite naturelle de la diminution d’intensité des effets chimiques s’exerçant entre les métaux et les liqueurs acides qui composent la pile, ne s’accordait pas avec la constance et le mouvement continu perpétuel, qui est propre à la force

  1. C’est la pile que Volta désigne sous ce nom.