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observé que, malgré la très-grande quantité d’orages qui éclatèrent en Suisse, en 1783, aucune maison n’en souffrit le plus petit accident.

La maison de campagne du comte de Mniszeck, à Demblin, avait été ravagée par la foudre pendant plusieurs années, ce qui détermina à y élever un appareil préservateur. Dès lors la foudre put y tomber cinq fois sans occasionner aucun effet fâcheux.

L’abbé Hemmer écrivait en 1783, à Landriani, que l’église luthérienne de Bornheim et celle de Nierstein, qui avaient été très-souvent fort endommagées par le feu du ciel, en furent entièrement préservées, même dans les orages les plus terribles, dès qu’on les eut munies de paratonnerres.

D’après M. Greppi[1], les maisons de Hambourg n’éprouvèrent plus aucun dégât de la foudre depuis que ces appareils y furent établis[2].

Dans tous les faits qui précèdent, il n’a été question que d’édifices et de maisons préservés du feu du ciel par l’appareil de Franklin. Donnons maintenant les preuves que les navires en mer peuvent être mis, par le même moyen, à l’abri de ce redoutable météore.

En 1780, le physicien Delor montrait à Paris, comme objet de curiosité, une portion du conducteur du paratonnerre d’un vaisseau anglais, formé d’une pointe de fer doré qui communiquait avec une chaîne de tringles de fer descendant jusque dans la mer. Dans la réunion de ces tringles, il existait, par hasard, une petite interruption de trois à quatre lignes. Ce vaisseau ayant été surpris, dans sa route, par un orage considérable, tout l’équipage put observer pendant trois heures, l’écoulement du feu électrique dans la portion interrompue du conducteur.

Le naturaliste Forster, dans son voyage autour du monde, eut l’occasion de reconnaître l’efficacité des paratonnerres sur les navires. Les îles de la mer du Sud sont exposées à de violents orages qui éclatent en toute saison. Pendant que Forster naviguait dans ces parages, il faisait souvent attacher

  1. Dissertation de M. Landriani, 1784, p. 283 et suiv.
  2. On se fait difficilement l’idée de la quantité de fluide électrique qu’un paratonnerre peut neutraliser. Pour donner un résultat précis sur ce point et montrer par une évaluation positive l’efficacité de l’appareil de Franklin, nous citerons un curieux passage de la Notice d’Arago sur le tonnerre, où cette question est traitée avec précision.

    « La matière fulminante que les paratonnerres en pointe soutirent aux nuées est-elle considérable ? dit Arago. Peut-il résulter de cette action un affaiblissement sensible des orages ? Là où il y aura beaucoup de paratonnerres, les coups de foudre seront-ils moins à redouter ? Des expériences de Beccaria m’ont fourni les éléments nécessaires pour éclaircir, je crois, tous ces doutes.

    « Cet habile physicien avait dressé à Turin, sur deux points du palais de Valentino fort éloignés l’un de l’autre, deux gros fils métalliques rigides, maintenus en place à l’aide de corps de certaines natures que les physiciens appellent corps isolants. Chacun de ces fils était peu éloigné d’un autre fil métallique ; mais celui-ci, au lieu d’être isolé, descendait le long du mur du bâtiment jusqu’au sol, où il s’enfonçait assez profondément. Le premier fil, comme on voit, était le paratonnerre ; le second, le conducteur. Eh bien, en temps d’orage, de vives étincelles, je pourrais dire des éclairs de la première espèce, jaillissaient sans cesse entre les fils isolés supérieurs et les fils inférieurs non isolés. L’œil et l’oreille suffisaient à peine à saisir les intermittences : l’œil n’apercevait aucune interruption dans la lumière, l’oreille entendait un bruit à peu près continu.

    « Aucun physicien ne me démentira, quand je dirai que chaque étincelle prise isolément eût été douloureuse ; que la réunion de dix aurait suffi pour engourdir le bras ; que cent eussent peut-être constitué un coup foudroyant. Cent étincelles se manifestaient en moins de dix secondes ; ainsi, chaque dix secondes, il passait d’un fil au fil correspondant une quantité de matière fulminante capable de tuer un homme ; en une minute six fois autant ; en une heure soixante fois plus qu’en une minute. Par heure, chaque tige métallique du palais de Valentino arrachait donc aux nuées, en temps d’orage, une quantité de matière fulminante capable de tuer 360 hommes. Il y avait deux de ces tiges : le chiffre 360 doit donc être doublé ; nous voilà déjà au nombre 720. Mais le Valentino se composait de sept toits pyramidaux, recouverts de feuilles de métal communiquant avec des gouttières également métalliques qui s’enfonçaient dans la terre. Les sommets de ces pyramides étaient pointus ; ils s’élevaient plus dans les airs que les extrémités des deux lignes sur lesquelles Beccaria opérait. Tout autorise donc à supposer que chaque pyramide soutirait aux nuages autant de matière au moins que les minces tiges en question. 7, multiplié par 360, donne 2 520 ; et si l’on ajoute les 720 des deux tiges, on trouve 3 240. En cavant tout au plus bas, en supposant que le Valentino agissait par ses pointes, que le reste du bâtiment était absolument sans action, nous n’en trouverons pas moins, pour ce seul édifice, que la quantité de matière enlevée à l’orage dans le court espace d’une heure eût suffi pour tuer plus de trois mille hommes. »

    (Arago, Notices scientifiques, t. I, p. 338-340.)