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du cerf-volant de Franklin : « M. de Romas, voulant s’assurer par lui-même de ce qu’il entendait raconter à ce sujet, la répéta en France, mais avec beaucoup plus d’appareil. » Pour rectifier cette affirmation erronée, Romas adressa au rédacteur du Journal encyclopédique, nommé Lutton, une longue lettre, dans laquelle l’histoire de cette question se trouvait soigneusement exposée. Mais, par la mauvaise volonté du journaliste, cette lettre ne parut point dans le recueil auquel elle était adressée.

N’ayant pu obtenir justice de ce côté, Romas, après une attente de plusieurs années, se résolut à faire, d’une autre manière, appel à la publicité. Il travaillait depuis longtemps à un Mémoire sur les moyens de se garantir de la foudre dans les maisons. Il livra ce mémoire à l’impression, et mit à la suite sa Lettre à M. Lutton, que le journaliste avait refusé d’accueillir, en l’accompagnant de pièces et certificats à l’appui des faits avancés.

Mais toujours poursuivi par la destinée, Romas ne devait point jouir de la satisfaction tardive qu’il espérait retirer de cette publication. Il mourut en 1776, pendant l’impression même de son ouvrage, à l’âge de 70 ans. Son livre, imprimé à Bordeaux, ne parut qu’après sa mort, et grâce au zèle pieux et aux soins de ses amis du château de Clairac[1].

Nous croyons qu’on lira ici, avec intérêt, une partie de cette lettre, qui constitue une pièce historique fondamentale dans la question. Voici donc les principaux passages de cet écrit :

Lettre de M. de Romas, lieutenant assesseur au présidial de Nérac, à l’auteur du Journal encyclopédique, au sujet de l’application du cerf-volant des enfants aux expériences de l’électricité à l’air.

Monsieur,

Depuis quelques semaines seulement je vois le Journal encyclopédique. C’est sans doute une perte réelle pour moi d’avoir été privé, pendant si longtemps, d’un ouvrage généralement estimé, et si digne de l’être ; mais il y a apparence que je ne l’aurais pas connu sitôt, si une personne, qui paraît prendre intérêt à ce qui me touche, ne m’eût envoyé le tome du 15 janvier (1768), en m’avertissant qu’il était question de moi dans un second extrait que vous donnez d’un livre qui a pour titre : l’Histoire de l’état actuel de l’électricité, par M. Priestley, auteur anglais.

Ainsi prévenu, je m’empressai, comme vous l’imaginez bien, monsieur, à chercher cet extrait : je le trouvai, et j’ai vu qu’il ne s’y agissait presque que des progrès de l’électricité entre les mains de M. Franklin.

En effet, monsieur, après le détail de certaines découvertes, que vous paraissez croire avoir été faites par ce célèbre électricien (détail qu’il est inutile de rappeler ici en entier), vous annoncez, à peu près en ces termes, « que M. Franklin est le premier qui a soupçonné l’identité des éclairs et du fluide électrique ; qu’il a indiqué d’avance le moyen de constater cette identité en proposant d’isoler à l’air libre, en temps d’orage, une aiguille électrisable par communication ; que le premier spectacle électrique que cet instrument ait offert, a paru en France aux yeux de MM. Delor et Dalibard ; que M. Franklin, animé par le succès de ces deux messieurs, éprouva lui-même son aiguille à Philadelphie, où il était alors ; que ce physicien ayant eu aussi un heureux succès, pensa bientôt qu’au moyen d’un cerf-volant, il pourrait se procurer un accès plus sûr et plus facile à la région où s’engendre la foudre ; que l’idée de ce second moyen se trouva juste par l’épreuve qu’il en fit au mois de juin de la même année 1752, dans la campagne de Philadelphie, où il jugea à propos d’opérer sans autre témoin que son fils, pour n’être pas exposé à la risée des sots ; que MM. Delor et Dalibard firent également l’expérience du cerf-volant en Angleterre l’année suivante. »

Enfin, après tant de choses merveilleuses, attribuées à un seul homme, exclusivement à tous autres, M. Priestley insinue que je m’avisai à faire cette même expérience du cerf-volant, parce que j’en avais entendu parler, et le seul avantage dont il a cru devoir m’honorer consiste en ce que j’y ai mis beaucoup plus d’appareil. Du moins est-ce là, monsieur, si je ne m’abuse, tout le sens qu’on puisse donner à cette suite de phrase qui se trouve dans votre second extrait de l’histoire dont il s’agit : « Et M. Romas, voulant s’assurer par lui-même de ce qu’il entendait raconter à ce sujet, la répéta en France, mais avec beaucoup plus d’appareil. »

  1. Mémoire sur les moyens de se garantir de la foudre dans les maisons ; suivi d’une Lettre sur l’invention du cerf-volant électrique, avec les pièces justificatives de cette même lettre ; par M. de Romas, lieutenant assesseur au présidial de Nérac, de l’Académie royale des sciences de Bordeaux, correspondant de celle de Paris. 1 vol. in-12. À Bordeaux, chez Bergeret, et à Paris, chez Pissot, 1776.