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appelait modestement une hypothèse, fut mise au nombre des vérités scientifiques…

« Dalibard et Franklin ne furent pas les seuls qui cherchèrent à soutirer la foudre des nuages. En France, le 26 mars 1756, Romas obtint des résultats étonnants. Il avait construit un cerf-volant de sept pieds de haut, sur trois de large, qui fut élevé à la hauteur de cinq cent cinquante pieds avec une corde dans laquelle il avait entrelacé un fil de métal. Il s’établit entre la corde et la terre un courant d’électricité qui parut avoir trois ou quatre pouces de diamètre et dix pieds de long ; ce phénomène se passait pendant le jour ; M. de Romas ne douta pas que s’il eût eu lieu pendant la nuit, l’atmosphère électrique aurait eu quatre ou cinq pieds de diamètre. On sentit en même temps une odeur de soufre fort approchante de celle des écoulements électriques qui sortent d’une barre de métal électrisée. On découvrit un trou dans la terre, à l’endroit où la décharge avait eu lieu, d’un pouce de diamètre et d’un demi-pouce de largeur[1]. »

Ainsi, M. Becquerel, qui commet d’ailleurs une erreur matérielle en fixant à l’année 1756 l’expérience de Romas, qui eut lieu en 1753, nous représente le physicien de Nérac comme ayant simplement reproduit et perfectionné l’expérience de Franklin.

On est allé plus loin encore dans cette appréciation inexacte de ce point important de l’histoire de l’électricité. Dans sa Notice sur Franklin, imprimée dans la Biographie universelle de Michaud, Biot va jusqu’à supprimer tous les travaux des physiciens français sur l’électricité atmosphérique. Il passe sous silence les expériences de Buffon, de Dalibard, de Delor, de l’abbé Mazéas, etc., pour faire honneur au seul Franklin de toutes les découvertes sur l’électricité.

« Franklin, nous dit Biot, reconnut aussi le pouvoir que possèdent les pointes de déterminer lentement et à distance l’écoulement de l’électricité ; et tout de suite, comme son génie le portait aux applications, il conçut le projet de faire descendre sur la terre l’électricité des nuages, si toutefois les éclairs et la foudre étaient des effets de l’électricité.

« Un simple jeu d’enfant lui servit à résoudre ce hardi problème. Il éleva un cerf-volant par un temps d’orage, suspendit une clef au bas de la corde, et essaya d’en tirer des étincelles. D’abord, ses tentatives furent inutiles ; enfin, une petite pluie étant survenue, mouilla la corde, lui donna ainsi un faible degré de conductibilité, et, à la grande joie de Franklin, le phénomène eut lieu comme il l’avait espéré. Si la corde avait été plus humide ou le nuage plus intense, il aurait été tué, et sa découverte périssait probablement avec lui. »

Ce récit de Biot contient beaucoup d’inexactitudes. Franklin ne demanda pas tout de suite à l’expérience, la confirmation de ses conjectures sur l’origine électrique de la foudre. Après avoir exposé cette idée théorique, il laissa à d’autres le soin de la vérifier expérimentalement. Après avoir mis en avant cette pensée, il demeura pendant près de trois années, indifférent, inactif, laissant aux physiciens de l’Europe le soin d’expérimenter à sa place, ne daignant pas même applaudir leurs tentatives ou les encourager, et plus tard, dans ses écrits, en parlant le moins possible. Ce n’est qu’après avoir reçu la nouvelle des belles expériences sur l’électricité atmosphérique faites par Dalibard à Marly, que Franklin se mit à l’œuvre, et qu’il entreprit l’expérience du cerf-volant, qu’il conduisit d’ailleurs assez maladroitement, comme nous l’avons déjà fait remarquer.

La même appréciation erronée se retrouve dans un ouvrage publié en 1866, par M. le docteur Sestier, assisté de M. le docteur Mehu, pharmacien de l’hôpital Necker, et intitulé : De la foudre, de sa forme, de ses effets[2]. Dans le chapitre intitulé « Les paratonnerres avant Franklin »[3], l’auteur répète les anciens errements qui attribuent cette invention à Franklin. Cette question historique est traitée avec une négligence inexplicable dans l’ouvrage, d’ailleurs estimable, de M. Sestier. Ce savant médecin, qui a remué des montagnes de livres pour composer sa mono-

  1. Traité expérimental de l’électricité et du magnétisme, en 9 vol. in-8, 1834, t. I, p. 42-43.
  2. vol. in-8, Paris, 1866.
  3. Page 445.