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qu’eut lieu le 14 mai 1753, la première expérience sur l’électricité atmosphérique. Les frères Dutilh et Romas assistaient seuls à cette expérience, qui fut répétée publiquement, le 7 juin de la même année, sur les allées qui entourent la ville de Nérac.

En 1760, Mathieu Dutilh fut appelé au gouvernement du duché d’Albret et du comté de Bas-Armagnac, avec le titre d’intendant général et commissaire député de S. A. S. Godefroy de Bouillon, duc souverain de l’Albret. Il mourut aveugle en 1791. Ses travaux sur le droit coutumier des provinces du midi de la France, lui avaient acquis une grande célébrité. Aussi ses collègues du parlement de Bordeaux, le désignaient-ils sous ce titre : l’aveugle clairvoyant[1].

Mais arrivons au récit des expériences sur l’électricité atmosphérique faites par Romas, tant au château de la Tuque qu’à Nérac.

On a vu, dans le chapitre précédent, que Romas, depuis longtemps voué à l’étude expérimentale de l’électricité, s’empressa, dès qu’il en eut connaissance, de répéter à Nérac l’expérience de Marly. Nous avons dit que, dès le mois de juin 1752, c’est-à-dire un mois après l’expérience de Dalibard, Romas faisait des recherches sur l’électricité atmosphérique avec une barre de fer isolée, et qu’il obtenait des résultats intéressants au moyen de sa verge de fer mobile, qu’il rendait tantôt verticale et tantôt inclinée sur l’horizon.

C’est dans le cours de ces dernières expériences, qu’il vint à l’esprit de Romas, la pensée d’envoyer vers les nuages orageux, un cerf-volant armé d’une pointe métallique, afin d’amener l’électricité des cieux jusqu’à la terre, au moyen de la corde du cerf-volant. Au mois d’août 1752, il communiqua, sous le sceau du secret, le projet de cette expérience à ses amis, le chevalier de Vivens et les frères Dutilh.

Mathieu Dutilh fut chargé de s’occuper de la construction du cerf-volant. Il fut convenu qu’il serait lancé dans les prairies qui environnaient le château de la Tuque. Mais Mathieu Dutilh mit quelque négligence à s’occuper de ce soin, de telle sorte que l’automne de 1752 s’écoula sans qu’on pût mettre à exécution l’expérience projetée.

Romas faisait allusion au projet de ce cerf-volant électrique, dans une lettre qu’il adressa à l’Académie de Bordeaux, le 12 juillet 1752, pour faire connaître le résultat de ses observations sur la barre isolée. Il s’exprimait comme il suit, employant à dessein des termes détournés, pour ne pas ébruiter d’avance, le projet d’une expérience qu’il n’avait pu mettre encore à exécution.

« Je me réserve de mettre au jour la dernière, quoiqu’elle ne soit qu’un jeu d’enfant, lorsque je me serai assuré de sa réussite, par l’expérience que je me propose d’en faire[2]. »

Mais laissons notre physicien raconter lui-même comment lui vint, en 1752, l’idée du cerf-volant électrique, et par quelles circonstances l’expérience qu’il avait méditée dut être renvoyée à l’année suivante. On trouve ce récit dans un petit ouvrage de Romas, qui a pour titre : Mémoire sur les moyens de se garantir de la foudre dans les maisons, suivi d’une lettre sur l’invention du cerf-volant électrique[3]. Après avoir rappelé les résultats qu’il avait communiqués le 12 juillet 1752, à l’Académie de Bordeaux, concernant ses expériences avec la barre de fer électrisée, Romas continue en ces termes :

« De cette observation je conclus que si je pouvais élever un corps non électrique et l’isoler commodément, j’obtiendrais de grandes lames de feu au lieu de petites étincelles.

« Pour vérifier cette conclusion, je pensai d’abord

  1. M. Dutilh, de Nérac, qui a fait partie de la chambre des députés sous Louis-Philippe, jusqu’à l’année 1848, était le petit-fils de Mathieu Dutilh.
  2. Par ce terme de jeu d’enfant, Romas entendait désigner le cerf-volant. C’est ce qu’il prouve dans sa Lettre au rédacteur du Journal encyclopédique, que nous citerons textuellement plus loin.
  3. In-18, Bordeaux, 1776.