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« De sorte, ajoute-t-il, que lorsque la soupape laisse échapper quelque chose, je conclus que la pression dans le bain-marie est environ huit fois plus forte que la pression de l’air, puisqu’elle peut soulever, non-seulement le poids qui résiste à six pressions, mais aussi la verge que j’ai éprouvée, qui résiste à deux, et ainsi, en augmentant ou diminuant le poids, ou en le changeant de place, je connais toujours à peu près combien la pression est forte dans la machine[1]. »

Ainsi Papin n’avait imaginé son levier et sa soupape, que pour savoir ce qui se passait dans le pot, et pour veiller à l’exacte cuisson des viandes. En faisant varier la position occupée par le poids sur les bras de la romaine, il reconnaissait approximativement le degré de pression auquel se trouvaient soumises les viandes placées dans le bain-marie. À cette époque, en effet, il était loin encore de songer à construire une machine fondée sur la force élastique de la vapeur d’eau ; et bien plus, lorsqu’il proposa cette machine, il ne pensa nullement à la munir de sa soupape. Dans son célèbre mémoire de 1690, où il donne la description de la première machine à vapeur, il n’est rien dit de la soupape de sûreté. L’idée d’appliquer un tel instrument à prévenir l’explosion de la chaudière d’une machine à vapeur, ne lui vint que vingt-sept ans plus tard, en 1707, c’est-à-dire quinze années après la publication de ce mémoire. C’est le physicien Désaguliers qui transporta le premier dans la pratique cette idée de Papin. En 1717, Désaguliers appliqua, en Angleterre, à une machine de Savery, la soupape du digesteur de Papin, que ce dernier avait proposée en 1707 comme un moyen de se mettre à l’abri des explosions auxquelles cette machine donnait lieu.

La construction du digesteur n’a donc exercé aucune influence sur la découverte de la machine à feu ; si elle y contribua en quelque chose, ce ne fut guère qu’en familiarisant l’inventeur avec l’usage pratique de la vapeur d’eau.

Depuis la publication de son New Digester, Papin se trouvait à Londres dans une position plus avantageuse peut-être que celle qu’il avait occupée à Paris. Il appartenait à la Société royale, la première des Académies de l’Europe. En outre, la protection de Robert Boyle lui permettait d’espérer beaucoup, car ce savant illustre, successivement honoré de l’estime de Charles II, de Jacques II et de Guillaume, savait user en faveur de ses amis d’un crédit qu’il dédaignait pour lui-même. D’un autre côté, il continuait à entretenir avec son pays de bonnes relations ; on insérait régulièrement dans le Journal des savants les communications qu’il lui adressait. Aussi ne peut-on se défendre d’un certain sentiment de dépit contre son humeur vagabonde, lorsqu’on le voit déserter tout à coup le sol hospitalier qui l’a reçu, et de même qu’il avait abandonné la France pour l’Angleterre, abandonner l’Angleterre pour l’Italie.

Le chevalier Sarroti, secrétaire du sénat de Venise, venait de fonder dans cette ville, par l’ordre du sénat, une nouvelle Académie, en vue du perfectionnement des sciences et des lettres, « avec une dépense et une générosité tout à fait extraordinaires », dit Papin[2]. Sarroti offrit au physicien français une position dans cette Société, et Papin accepta, un peu à l’étourdie.

Il résulte d’une lettre de lui, datée d’Anvers le 1er mars 1681, et adressée au docteur Croune, que depuis peu de jours il avait quitté l’Angleterre. Dans cette lettre, il priait son ami de remettre sa machine à la Société royale, à laquelle il offrait en même temps ses services en quelque lieu qu’il se trouvât.

La Société royale, qui le vit partir avec regret, tint note de la promesse, et inscrivit son nom sur la liste de ses membres honoraires.

Papin séjourna plus de deux ans à Venise, occupé presque sans relâche à des expériences de physique. Ses travaux lui acquirent

  1. La Manière d’amollir les os, p. 10.
  2. Journal des savants, 1684, p. 82.