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tirait l’étincelle, reçut un choc ou une piqûre très-violente ; mon bras gauche fut secoué et repoussé de haut en bas, au point de me faire quitter le vase à demi plein d’eau que je tenais[1]. »

D’où provenait donc l’erreur de Musschenbroek, sur la qualité de verre qui convenait à son expérience ? Tout simplement de ce qu’il avait opéré avec un vase d’Allemagne bien sec, tandis que les vases de France dont il s’était servi pour reproduire l’expérience, étaient humides à l’extérieur. La présence de l’eau sur la paroi externe des vases de verre, était, comme on le reconnut plus tard, un obstacle à la réalisation du phénomène.

Quand le résultat de l’expérience de Nollet fut connu dans la capitale, il y excita un intérêt et une curiosité extraordinaires. On se rendit en foule chez le complaisant physicien du collége de Navarre. Des personnes de tout sexe et de tout rang imploraient la faveur d’être soumises à la commotion électrique. Les terreurs que les premiers électriciens avaient éprouvées au sujet de cette expérience, étaient alors singulièrement oubliées. On tournait en ridicule les frayeurs de Musschenbroek, et l’on opposait à la pusillanimité du physicien de Leyde, les nobles et courageux sentiments du professeur Boze, de Wittemberg, qui avait dit avec un héroïsme philosophique : « Je ne regretterais point de mourir d’une commotion électrique, puisque le récit de ma mort fournirait le sujet d’un article aux Mémoires de l’Académie royale des sciences de Paris. »

Comme le nombre des personnes empressées de recevoir la commotion de la bouteille de Leyde, augmentait tous les jours, et qu’on ne pouvait suffire à satisfaire les désirs de tant d’amateurs empressés, l’abbé Nollet eut l’idée de faire ressentir le choc électrique à un grand nombre d’individus à la fois. Il disposa donc en une chaîne continue, un certain nombre de personnes, se tenant chacune par la main, et pouvant, de cette manière, recevoir successivement la décharge de la bouteille électrisée.

Après avoir préludé par des essais convenables à cette singulière expérience, Nollet l’exécuta solennellement à Versailles, devant le roi et la cour.

Une compagnie des gardes-françaises, formée de deux cent quarante soldats, qui se tenaient par la main, fut rangée dans la cour du château : l’abbé Nollet se plaça à l’un des bouts de la chaîne : l’un des soldats, à l’autre bout, tenait à la main la bouteille pleine d’eau électrisée. Quand l’abbé vint à toucher de sa main le fil de fer plongeant dans la bouteille, et à établir de cette manière la communication entre les surfaces interne et externe du vase, aussitôt la commotion se fit sentir dans toute l’étendue de la chaîne. Toute la compagnie des gardes-françaises tressaillit et sauta en même temps.

Quelques jours après, l’abbé Nollet répéta l’expérience dans le couvent des Chartreux. Il fit ranger toute la communauté en une chaîne, qui occupait une étendue de 900 toises, car chacun des acteurs de cette nouvelle scène communiquait avec son voisin au moyen d’un fil de fer d’une certaine longueur tenu dans la main. Dès que le courant fut établi, la commotion électrique fut ressentie au même instant par tous les membres de la respectable congrégation, qui n’avaient peut-être pas l’habitude d’une telle unanimité d’impression.

Poursuivant ensuite les mêmes expériences in animâ vili, l’abbé Nollet frappa de la charge électrique des oiseaux et des poissons. Les poissons furent tués dans l’élément liquide. Un moineau et un bruant, les premiers oiseaux qui aient reçu la commotion électrique, furent étourdis au premier coup. À une seconde décharge, le moineau périt, le bruant résista. Quand on examina le corps du moineau, on crut remarquer que toutes les veines du petit cadavre étaient crevées. Le fait ne

  1. Mémoires de l’Académie royale des sciences pour 1764, p. 4.