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conçu, mais qu’il était plus facile de concevoir que de faire adopter par les compagnies.

Seulement, comme mon ami de Goy était plus familier avec les choses de la littérature qu’avec celles de la science ; comme il était parfaitement au fait des habitudes du théâtre du Vaudeville ou du Palais-Royal, mais fort étranger, en revanche, aux usages de l’Académie des sciences et de l’administration des chemins de fer, il avait commis une imprudence énorme.

Il avait fait breveter son idée. Il s’était fait délivrer un brevet d’invention pour l’emploi des sonneries électriques dans les voitures de chemins de fer. Or, cette application pure et simple d’une donnée scientifique, tombée dans le domaine public, ne pouvait que difficilement être mise sous la sauvegarde d’un brevet d’invention. Aussi le brevet du pauvre de Goy n’était-il guère plus sérieux que le billet de Ninon de Lenclos à La Châtre.

Malheureusement, ce billet de La Châtre, ce brevet d’invention, avait coûté fort cher à mon ami !

Personne n’ignore que, dans notre bon pays de France, tout inventeur, comme l’a dit le spirituel Jobard, est mis à l’amende de 100 francs par an. En d’autres termes, tout le monde sait qu’un brevet d’invention se délivre, chez nous, moyennant une redevance annuelle de 100 francs, payée à l’État par l’inventeur. À la rigueur, on peut supporter cette amende annuelle de cent francs, bien qu’en général, un inventeur n’invente que parce qu’il n’a pas cent francs dans sa poche. Mais la chose devient plus grave lorsqu’on veut prendre un brevet, non en France seulement, mais dans tous les pays étrangers, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, aux États-Unis, etc. L’amende s’élève alors à un taux exorbitant : il faut verser aux chancelleries de ces divers pays, près de 14 000 francs.

C’était là l’imprudence que mon ami avait commise, dans son ignorance des choses de la science et de l’industrie. Non-seulement il avait pris un brevet en France, mais il avait commencé à en prendre à l’étranger, en échange d’espèces sonnantes.

Voilà « l’idée superbe » qui devait faire la fortune d’André de Goy !

J’essayai de l’arrêter sur cette pente dangereuse. Je m’efforçai de lui faire comprendre que les compagnies de chemins de fer, ni en France, ni au dehors, ne consentiraient jamais à acheter son brevet. Plein de confiance, il me quitta, pour courir au ministère des travaux publics et dans tous les bureaux de chemins de fer.

Le Ministre des travaux publics et les administrateurs des chemins de fer ne durent pas faire un brillant accueil au littérateur dépaysé.

Je ne revis André de Goy que trois ans après.

Je le rencontrai par hasard, dans l’avenue des Champs-Élysées, au coin de la rue de Chaillot. Il avait horriblement vieilli. Les lignes de son visage étaient tirées, et ses mains agitées d’un tremblement continuel. En proie à une maladie nerveuse, il était entré dans une maison de santé de Chaillot.

Quand, après lui avoir demandé des nouvelles de sa santé, je lui demandai des nouvelles de son affaire des sonneries électriques, il me serra la main avec force, et me quitta sans rien dire.

Six mois après, je recevais une lettre de faire part, m’annonçant la mort de mon ami. André de Goy, le littérateur charmant, l’érudit aimable et de bon goût, était mort d’une idée de physique avortée.

Cette idée, comme nous l’avons déjà dit, était des plus simples ; elle se présentait pour ainsi dire d’elle-même à l’esprit. La seule difficulté était de la faire adopter par les compagnies de chemins de fer.

Les compagnies objectaient qu’en mettant